Jean-Claude Mourlevat: Retour à soi et aux autres

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L’action enlevante et les intrigues originales sont la marque de commerce des romans pour adolescents signés Jean-Claude Mourlevat. Dans ces formidables récits, on découvre des mondes en opposition, des antagonismes idéologiques et politiques, des réalités parallèles et perméables grâce à des passages, parfois secrets. Non, on ne s’ennuie pas avec un Mourlevat, d’autant plus que l’écriture est riche et nuancée. Mais ce n’est toutefois là qu’un aspect de ses textes…

L’écheveau de chacune des intrigues de Mourlevat est enrichi des qualités du cœur et de la morale, de la sensibilité et de l’ouverture à l’autre et à soi-même. Ces qualités, on les retrouve dans la galerie de personnages qui évoluent dans des univers étranges, déshumanisés, mais dont les actions sont porteuses d’espoir et de rédemption. Puis, le récit est illuminé par l’humanité de ses personnages, dans toute la beauté des petits gestes ou des actes héroïques, dans l’émerveillement des rencontres et des retrouvailles, du retour à soi et chez soi. Les protagonistes se connectent à eux-mêmes ainsi qu’à leur époque et à leur fratrie, ils découvrent et magnifient leurs talents et aptitudes, ils habitent leurs désirs afin de faire évoluer leur cause.

Dans cette veine, le très touchant roman Terrienne (Gallimard) nous plonge dans un univers parallèle troublant. Anne arrive à ressentir toute la beauté de la vie, après avoir risqué de tout perdre; sa sœur Gabrielle, son amoureux Bran, ses amis, sa propre vie. C’est la solidarité qui permettra à Anne de retrouver sa sœur dans ce monde voisin, parallèle, inversé, si proche mais si loin dans ses us et coutumes, son mode de vie oppressant et déconnecté. Quelques citoyens suffisamment sensibles épauleront Anne dans sa quête et lui apporteront leur aide au prix de périls certains.

Pour sa part, le Combat d’hiver (Gallimard) met en scène un pays où les orphelins rêvent de s’échapper de leur quotidien misérable et contraignant. On décèle immédiatement une humanité persistante à travers les personnages de ce livre, notamment lorsqu’Helen s’épanche auprès de sa consoleuse (genre de marraine bienveillante), ou qu’elle découvre les frissons de l’amour dans sa quête pour retrouver son père – mythique résistant de cette folie tyrannique – disparu.

Le chagrin du roi mort (Gallimard) relate dans un décor médiéval le combat d’une peuplade isolée sur une île, souveraine et pacifique, forte des acquis de ses victoires légendaires du passé. Ce royaume maintenant assiégé et renversé, attendra des années le retour de Brisco, le fils prodigue, le petit-fils du roi mort, enlevé à un tout jeune âge par les conquérants et élevé par ceux-ci en champion du nouvel empire. Ce roman rappelle les figures des contes de fées classiques.

Des contrées verdoyantes, un empire, un royaume lointain. Belle métaphore de la tradition qui s’oppose au progrès, de la disparition d’acquis magnifiques mais surannés. La quiétude contre le tumulte de l’avancement. Vouloir tout réinventer? Ne pas conserver les réussites du passé? Cette question se pose de tout temps par rapport à l’évolution des mœurs, des idées et des sciences. Et les personnages de Mourlevat expérimenteront l’adversité, les alliances, l’amitié, la solidarité, de manière à se dépasser pour transfigurer le monde dans lequel ils vivent, mais, toujours à la fin, ils seront de retour à eux, chez eux.

J’ai apprécié les pensées que m’ont suscitées ces lectures, et le regard qu’elles m’ont permis de poser sur certains traits de la nature humaine, le tout au fil de péripéties nombreuses et enlevantes. Excellentes lectures.

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