Flibustiers à l’horizon

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Ohé, moussaillons! Partons, la mer est belle… pour les petits corsaires en quête d'une traversée extraordinaire. Des pirates, aux surnoms effroyablement attachants, ont largué les amarres, au gré de l'imaginaire d'écrivains jeunesse «dans le vent». Mais comment se dévoile cette muse qui les guide à inventer des histoires à la fois drôles et tragiques? Incursion au cœur de la piraterie avec, au gouvernail, Alain M. Bergeron, Alain Ruiz, Camille Bouchard, Alain Raimbault, Sophie Rondeau, Dynah Psyché, Stéphanie Ledu, Alain Raimbault, John Matthews et Laurent Chabin.

L’enfant matelot: une «figure de proue»
Pour capter l’attention du jeune lecteur curieux de plonger dans le monde des pirates, un personnage phare: le mousse. Que l’on s’adresse à des enfants de 3 ans ou à des adolescents de 16 ans, l’œuvre traversée par la piraterie, sous tous ses angles, présente cette figure attachante. L’écrivain John Matthews, auteur du captivant livre-objet Pirates, définit le mousse comme «une jeune recrue affectée à l’entretien des canons et à leur chargement lors des combats». Un être fragile, exposé aux dangers, frôlant le trépas à chaque assaut.

La présence constante du mousse vient créer une sorte de solidarité, de complicité avec le jeune lecteur. Camille Bouchard adopte cette approche à travers ses deux romans, L’île de la Licorne: Pirates (t. 1) et Trente-neuf. Le personnage de François Poivre, marin en herbe âgé d’à peine 14 ans, s’avère confronté, dès les premières pages de l’aventure de l’île de la Licorne, à la cruauté d’un mode de vie où le sang versé et la mort vont de pair. Blessé, il se relève difficilement, car «le poids qui écrase ses jambes est celui d’un matelot mort, couvert de sang, la main encore refermée sur un sabre d’abordage». La suite de l’aventure du jeune marin paraîtra au courant des prochains mois. Quant à l’histoire poignante du mousse Jorge Gonzalez, 13 ans, elle prend une tournure de plus en plus tragique au gré du récit Trente-neuf. Courageusement, il assiste aux dures réalités découlant de l’exploration du Nouveau Monde, entre autres, le pillage incessant des richesses de peuples indigènes des Caraïbes.

Et comment passer outre le sort des deux fils de la malheureuse comtesse Rachel de Kergorieu, qui assistent à une scène insoutenable: la tête décapitée de leur père, au bout d’une pique ensanglantée. L’esprit de vengeance de leur mère les habitera sur le chemin de la piraterie et de la haine. Le jeune narrateur qu’invente Laurent Chabin, pour guider le lecteur lors de la lecture de À feu et à sang, premier volet de la série La louve de mer, devient un canal idéal pour rejoindre le lecteur… idéalement âgé de 12 ans et plus.

L’humour: «passerelle» pour les pirates bambins
Si le narrateur incarné par le personnage du mousse rejoint systématiquement le lecteur de 10 ans et plus, il en va autrement pour les tout-petits qui n’ont pas froid aux yeux! L’illustration, multicolore et rigolote, se déploie dans chacune des œuvres destinées aux jeunes pirates. Aux Éditions Milan Jeunesse, les pirates apportent leur grain de folie à travers la collection Mes p’tits docs. Récit fidèle du quotidien de ces brigands pilleurs que furent, de tout temps, les pirates, le roman raconte dans un style tout à fait rafraîchissant les pans de leur existence. La mauvaise alimentation, les trahisons, le terrible pavillon noir hissé, ou encore la présence fatale de requins en mer, font partie intégrante de cet album documentaire.

Dans Simone la démone des sept mers, l’imaginaire de l’écrivaine Sophie Rondeau prend vie autour d’une figure féminine, «une vraie pirate, plus rusée que Barbe-Noire, plus téméraire que Barberousse et plus vilaine que Monbars le Destructeur!» Tout pour faire frissonner de plaisir le lecteur-mousse. Chez Boréal Maboul, Alain M. Bergeron, dans Le ventre du cachalot, propose quant à lui une aventure formidable avec le valeureux équipage de la frégate Le Marabout. À bord, huit courageux pirates aux minois craquants, que l’auteur présente en introduction: le pirate Jean de Louragan, capitaine arborant le noir bandeau, Merlan, le mousse distrait, et les triplets Bâbord, Sabord et Tribord. Et pour compléter cette bande qui devra sortir indemne du ventre du cachalot, Dupont-le-Claude, «seul membre à bord âgé de plus de 10 ans».

L’humour prend une dimension bien particulière pour Alain Raimbault et son Capitaine Popaul. Le narrateur raconte les péripéties de la bande à Popaul et se permet des commentaires frôlant la désinvolture, provoquant du coup des secousses hilarantes: «Bon, j’ai coupé. Trois pages de niaiseries à fleurettes et à salminonbidibigoudelles. Je n’ai pas supporté, alors j’ai coupé.» De la rigolade à profusion!

Morbleu! Malédiction au large…
Le pirate authentique, c’est bien connu, a survécu aux pires bourrasques, aux plus impitoyables mouvements de la mer. Et pour atteindre la croix dessinée sur la carte de l’île au trésor, l’équipage se fait violence et fonce droit devant. Rien ne peut l’arrêter, mais lorsque survient la malédiction et que les forces surnaturelles maîtrisent tous les éléments, le combat prend une tout autre tournure. Pour le quartier-maître Ian Flibus et le capitaine Kutter, il règne sur l’Île aux Treize Os un maléfice redoutable: un trésor maudit. L’écrivain Alain Ruiz propose aux jeunes lecteurs de calibre intermédiaire une trilogie sous le signe de la fantaisie et de l’aventure. Des monstres terrifiants émergent de la mer, des squelettes armés jusqu’aux dents et même une tête de mort ayant le don de la parole s’en prennent à la bande de Flibus. Les éléments fantastiques s’amalgament ici parfaitement au thème de la piraterie. Quant à la série Gaïg, créée par l’auteur Dynah Psyché, elle ne manquera pas de surprendre le jeune lecteur comme l’adulte en quête d’un univers surréel. Le tome 4 de la série, L’île des disparus, s’inspire à la fois du mode de vie des pirates et de la présence de créatures aux pouvoirs magiques. Sur l’Île des disparus, des hommes ensorcelés par le pouvoir de l’or s’en prennent à un peuple de nains prisonniers. Un juste parallèle historique d’une époque dominée par les conquistadors, imposant leur loi et leur foi à des peuples soumis face au «dieu blanc». Le récit que fait un nain de cette domination s’avère évocateur: «Puis des Hommes étaient arrivés sur des bateaux, que les Nains en détresse avaient accueillis comme des sauveurs.» L’apparition du pirate dans le quotidien de l’indigène coupé du reste du monde est à la fois symbole de bénédiction et de malédiction. Un double rapport qui tend vers le malheur lorsque le «dieu blanc» s’empare des richesses de ces populations et de leur culture, les obligeant à prêter serment à la religion des rois d’Europe.

La plupart des auteurs sont parvenus à puiser dans l’histoire de la piraterie et de la conquête du Nouveau Monde afin d’insuffler à leurs récits jeunesse une vague de réalité. Car après tout, qui a dit que les pirates n’étaient plus de ce monde? Certainement par notre équipage d’écrivains jeunesse…

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