Des jeunes et des archétypes

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Le monde ne cesse de nous le prouver, de campagne électorale en faits divers: nous avons tous besoin de nous conter des histoires. Et à force de les conter, elles se transforment et prennent parfois de l'ampleur. Au point que certaines d'entre elles deviennent éventuellement mythologies, c'est-à-dire des archétypes, des figures fortes de la nature humaine qui font appel à l'émotion et au subconscient, plus qu'à l'analyse et à la raison.

C’est ainsi qu’un chef celte du Ve siècle, en guerre contre les tribus germaniques qui envahissaient les îles britanniques, est devenu, au fil des siècles, le roi Arthur, et a donné naissance au vaste cycle de la Table ronde. Un véritable trésor de grands récits, de la quête du Graal aux aventures de Sire Gauvain et le Chevalier Vert, un récit étonnant où Gauvain affronte un étrange chevalier qui a survécu à sa propre décapitation, et que Michael Morpurgo a récemment adapté. Codes d’honneur, sorcellerie, amours interdites lourdes de conséquences, épreuves et confrontations entre le bien et le mal alignent des enjeux profonds qui sous-tendent les récits et leur donnent une véritable portée mythique.

Du quotidien à l’épique
La littérature jeunesse fait régulièrement appel à ces personnages dessinés à grands traits et à ces enjeux forts autour du bien et du mal et, très souvent, de la faillibilité humaine. Comme l’a démontré répétitivement Le Seigneur des anneaux — pas conçu pour les jeunes, mais très populaire chez eux —  ou même, au cinéma, la Guerre des étoiles, il est tout à fait possible de créer aujourd’hui des récits ancrés dans les archétypes de la mythologie. Bien sûr, une grande proportion de cette littérature tourne autour du quotidien des jeunes, de leurs maux familiaux, de leurs craintes scolaires, de leurs premières amours. Les «Noémie» de Gilles Tibo, les «Sara» d’Anique Poitras, les «Momo de Sinro» de François Barcelo, les «Julie» de Martine Latulippe, les albums éducatifs de La courte échelle sont autant d’exemples de livres qui rejoignent leur public par le miroir de situations courantes. Pourtant, les élans des récits épiques conquièrent l’imagination du jeune lectorat. La popularité de la série «Amos Daragon» montre bien la capacité de telles histoires à attacher à leurs chaises, durant des heures, les lecteurs, qui grandissent dans une ère d’instantanéité. Bryan Perro, l’auteur, fait fortement appel aux mythologies du monde entier. Au fil des dix premiers volumes de la série, son héros a voyagé des Enfers au monde des dieux vikings en passant par la tour de Babel et, dans le neuvième volume, la quête de la Toison d’or, issue de la mythologie grecque. Perro utilise la mythologie pour donner à ses récits le souffle qui leur permettra de traverser plus de 2000 pages sans tomber dans l’anecdotique ou le «téléromanesque». Et le trait qui parcourt la série tient à la mission ultime d’Amos: rétablir l’équilibre du monde, rien de moins. À travers ces grandes aventures, les récits sont également meublés d’aventures sentimentales, d’anecdotes sympathiques et amicales. Au total, c’est peut-être le mariage entre les deux qui explique vraiment le succès de l’affaire, comme celui de Harry Potter. Chez Harry, les potins d’école et les matches de Quidditch prennent leur place entre les confrontations entre le bien et le mal, où se profilent une figure paternelle (Dumbledore) et un méchant qui veut soumettre le monde à sa domination (Vous-savez-qui).

Connaissez vos mythes
Pour mieux connaître ces fonds mythiques et légendaires qui nourrissent notre imaginaire, les ressources ne manquent pas. Des collections de mythes et légendes de toutes les régions du globe sont régulièrement publiées et rééditées chez Gründ, par exemple, dans des versions parfois simplifiées, parfois intégrales. Sous un angle plus analytique, on peut se tourner vers Mon Premier Larousse des héros1. On y trouve une compilation des protagonistes de contes de toutes époques, aussi bien tirés de la Bible que de la mythologie grecque ou égyptienne. L’accent est occidental et méditerranéen, oubliant au passage l’Inde, la Chine ou le Japon, ce qui nous ramène donc à un patrimoine familier, de Sinbad à Tom Sawyer en passant par Pinocchio, Robinson Crusoé, Noé, Horus, Dédale et Icare, D’Artagnan ou Tarzan (et Jane). Un tel étalage rend-il toutes les classes de héros égales ? Peut-être un peu, bien qu’on discernera facilement la portée d’un récit dont les enjeux se limitent au héros lui-même (Ali Baba et les Quarante Voleurs) et ceux où se joue le sort de l’humanité (La Boîte de Pandore). Plus spécialisé, Sur les traces des dieux grecs intercale les récits et des encarts de deux pages encyclopédiques où l’on traite de notions comme les sacrifices, la place des dieux dans les rythmes de la nature et le rôle des héros et leurs relations avec les dieux. De quoi explorer des mythes qui se sont parfois semés jusque dans la psychologie moderne et les représentations subconscientes de l’homme d’aujourd’hui.

Et la fable, elle?
Si le conte est anecdotique et le mythe archétypal, la fable, elle, a plutôt pour but d’être morale. Elle propose des règles de bon comportement à l’être humain, grâce à l’exemple offert par une anecdote où se croisent très souvent des animaux. Le père du genre, dans le monde occidental, est sans contredit Ésope, un auteur presque… légendaire du VIe siècle av. J.-C. On sait très peu du personnage et il est fort possible qu’une partie des fables qui lui sont attribuées, recueillies pour la première fois au IVe siècle av. J.-C., appartiennent tout simplement à la tradition orale méditerranéenne. Quoi qu’il en soit, ses petits récits moraux font toujours partie du patrimoine culturel occidental, puisqu’ils furent la grande source d’inspiration d’un certain Jean de la Fontaine; «Le Lièvre et la Tortue»,
«Le Chêne et Le Roseau», «Le Corbeau et le Renard» ou «Le Rat des villes et le Rat des champs», viennent toutes d’Ésope. Avec un petit coup de main de Michael Morpurgo, une vingtaine de fables «ésopiques», comme on dit savamment, gagnent un souffle juste assez actuel et vivant dans un recueil illustré avec une réjouissante délicatesse. Les exemples donnés plus haut y sont racontés avec fraîcheur et dans une langue déliée. En retrouvant des motifs connus, on sourit à noter les différences entre La Fontaine et son modèle. Et dans d’autres cas, on s’amuse ferme à lire des histoires moins populaires, comme Les Voyageurs et l’Ourse, où le comportement poltron d’un voyageur abandonnant l’autre en voyant une ourse arriver suscite cette belle morale: «Les amis présents uniquement dans les bons moments ne valent pas la peine». Voilà une idée qui survit bien au passage des siècles.

1 Également disponible, Mon Premier Larousse des légendes de la mythologie (Larousse, 24,95 $)

Bibliographie :
Sire Gauvain et le Chevalier Vert, Michael Morpurgo (texte) & Michael Foreman (ill.), Gallimard Jeunesse, 114 p., 27,95 $
Mon premier Larousse des héros, Françoise de Guibert (textes) & quatorze illustrateurs, Larousse, 159 p., 24,95 $
Sur les traces des dieux grecs, Marie-Thérèse Davidson (texte) & Daniel Maja (ill.), Gallimard Jeunesse, coll. Sur les traces de…, 128 p., 17,25 $
Les Fables d’Ésope, Michael Morpurgo (texte) & Emma Chichester Clark (ill.), Gallimard Jeunesse, 96 p., 33,95 $

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