Togo: La rue, le pétrole et nous

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L’Afrique Noire, aux prises avec des guerres fratricides, des problèmes de santé majeurs et de malnutrition, n’a pas fini d’inspirer les écrivains. Cette partie du continent africain reste la plus démunie, de même que la plus politiquement instable. Marqué par le sida, la pauvreté et la violence, le Togo célèbre cette année ses 51 ans d’indépendance et n’en demeure pas moins un pays riche de sa culture.

Les mots et les pavés
Impossible d’oublier les rues de l’enfance. Elles restent en nous, et nous puisons dans cette mémoire pour construire les décors de l’imaginaire, pays de l’écriture chauffés par l’ardeur du soleil. Assez tôt, je devais constater que le soleil, dans nos rues des tropiques, est multiple. Ou double, pour faire simple. Le premier serait celui d’une enfance insouciante qui réchauffe et embellit la peau du jeune héros du Guinéen Camara Laye dans son roman L’enfant noir. L’Afrique y apparaissait sereine et imperturbable, belles campagnes et ciel limpide. Mais il y a cet autre soleil, celui qui mord, l’Afrique de l’après-indépendance et des rues de la désillusion, les pavés de la misère sur lesquels crèvent — et rêvent aussi — les gamins de Lomé, Dakar, Brazzaville. Ce sera Ahmadou Kourouma et Les soleils des indépendances. Ce sont aujourd’hui d’autres rues de l’Afrique subsaharienne qui brûlent en écho à celles de Tunis, Alexandrie, Bengazi… Le printemps maghrébin s’étendra-t-il à tout le continent noir?

Lomé, Bamako, Conakry… années 1990
Il y eut ces auteurs que je découvrais dans cette décennie 90 où, à la suite de l’effondrement du mur de Berlin et dans la tourmente de ce qu’on a appelé le vent de l’Est, l’Afrique passait à une nouvelle étape de son histoire: la démocratie. Période critique, violente, qui enfanta une nouvelle génération d’écrivains, la génération de la colère et de la revendication. Je pense au Burkinabé Koulsy Lamko (Tout bas… si bas), aux Togolais Kossi Efoui (Le Carrefour, Le petit frère du rameur), Kangni Alem (La saga des rois), au Béninois Camille Amouro (Goli). Des auteurs de théâtre, le théâtre fonctionnant comme cet art de l’urgence qui devait jouer et subvertir le drame de la répression militaire. Une manière pour ces dramaturges de tracer les contours de la société de leur rêve: celle de l’amour et de la justice. Mes premières ébauches de textes datent de cette période. Pour traduire ma part insignifiante de colère et parce que j’avais encore dans le ventre les équations et les interrogations absurdes d’un Beckett… Mais, passons. Juste retenir, pour l’essentiel, que le théâtre faisait écho à des romans forts qui ont précédé cette décennie: Chinua Achebe (Le monde s’effondre), Yambo Ouologuem (Le devoir de violence), Mongo Beti (Remember Ruben), Henri Lopès (Le Pleurer-rire), Alioum Fantouré (Le Cercle des tropiques), Sony Labou Tansi (La vie et demie), Tierno Monenembo (Les écailles du ciel)… La fiction d’une vie qui n’en était pas vraiment une, fragments de rêves avortés et quelques bouts d’espoir, malgré 1994 et le génocide rwandais… le Djiboutien Abdourahman Waberi écrira Moissons de crânes

Malheureux enfants du pétrole
On sait la richesse minière du continent noir. Elle est source de convoitises, et on écrit, on dit, et on sait, qu’elle est la cause des nombreux conflits qui secouent, depuis de longues années, de nombreux territoires. On se souvient des années 60 et du Nigeria, la guerre du Biafra et ses milliers de morts et de déplacés. Et, bien des années plus tard, par une aube douloureuse, c’est à cause du même liquide qu’on pendra, haut et court, dans le même Nigeria, l’écrivain Ken Saro-Wiwa et bien d’autres dignitaires du peuple Ogoni, dans ce delta du Niger morcelé par les compagnies pétrolières. Ne pas oublier Ken Saro-Wiwa. Et le ciel du delta chargé de vapeurs nocives, les nappes souillées, et tous ses gamins, enrôlés sur les sentiers de la rébellion. Du côté du Gabon, il y a Bessora et son Petroleum, portrait d’une humanité faite de spoliation. Bêtise et cruauté. Et il y a ceux qui fuient ces pays fragiles et imprévisibles, villes du futur à l’agonie et à l’espace occupé par des camps de réfugiés. C’est ce qu’on peut lire dans le livre visionnaire d’un Kossi Efoui, L’ombre des choses à venir, pays rescapés de guerres qui auront morcelé l’Afrique. Scissions, partitions. Pour le contrôle du fameux liquide. Et on pourrait aussi évoquer ceux qui, du Congo au Liberia, crèvent, victimes de la pierre précieuse, avec pourtant, dans le regard et le geste, une ardeur lisible comme la réinvention de l’espoir…

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Originaire du Togo, Edem Awumey est l’auteur de deux romans applaudis par la critique: Port-Mélo (Gallimard), récipiendaire du Grand Prix littéraire de l’Afrique noire ainsi que Les pieds sales (Boréal), qui fut en lice pour le non moins prestigieux prix Goncourt. Ce dernier titre traite d’exil, de quête des origines et de la recherche du père, alors que la mythologie y tient une place d’honneur. Signalons au passage qu’une histoire se déroulant entre l’Afrique, le Québec et la Louisiane se prépare pour l’automne. Monsieur Awumey est arrivé au Québec à l’âge de 30 ans: «J’ai choisi de m’installer ici par désir d’espace et d’un chant autre que celui de l’Afrique francophone ou de Saint-Germain-des-Prés… histoire de compléter ma vision du monde.» Ce besoin de liberté se ressent également dans son œuvre. Il n’est donc pas étonnant qu’il voue une passion particulière aux oiseaux, qui sont selon lui la preuve que la liberté n’est pas qu’une simple idée…

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