Quand Narcisse se pointe…

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Si vous avez aimé Le portrait de Dorian Gray, vous aimerez assurément Le complexe d’Eden Bellwether. Pendant la lecture du chef-d’œuvre de Wilde, j’étais complètement envoûtée par l’ambiance, tout comme je le fus par celle que Benjamin Wood a créée. Dans les deux ouvrages, le narcissisme est à l’honneur; un thème qui fascine par les questionnements qu’il soulève.

Un être qui ne connaît aucune limite à l’adoration qu’il se porte peut-il connaître quelque limite que ce soit? Pendant que Dorian Gray voue un culte à sa beauté et à sa jeunesse, qu’il se meurt de ne pas vouloir mourir, Eden Bellwether, quant à lui, ne jure que par ses théories sur la musique baroque, lesquelles l’entraîneront dans d’étranges séances d’hypnose pour le moins douteuses. Perdre le sens des réalités sous le charme mélodique du contrepoint, guérir corps et esprit par la musicothérapie sous hypnose : voici comment on aborde le thème du trouble de la personnalité narcissique dont souffre le sujet du roman de Benjamin Wood.

Quand Oscar, jeune aide-soignant, fait la connaissance d’une bande d’étudiants de Cambridge menée par le charismatique Eden Bellwether, il est rapidement intrigué et agacé par l’intelligence et par la mégalomanie de celui-ci. Étranger à la classe sociale de ses nouveaux amis, autodidacte et pragmatique, il se sent manipulé en esprit par la personnalité narcissique d’Eden et en charme amoureux par sa sœur Iris. Et quand la mise en pratique des théories thérapeutiques sous hypnose musicale se présente à l’improbable guérisseur, Oscar aura bien du mal à empêcher le drame, dans l’atmosphère psychomaniaque qui s’installe insidieusement. Les médecines alternatives, la psychologie de l’espoir et de l’autosuggestion, la manipulation sectaire avec gourou inspiré sont en filigrane de ce premier roman magistralement maîtrisé.

Cette atmosphère perverse était également à la base du roman philosophique de Wilde. À la différence que dans cette œuvre-ci, c’est la beauté physique qui était mise de l’avant. Dorian Gray, qui au départ était pur et innocent, se voit soudainement assommé de flatteries par Basil, l’homme qui a peint son portrait. Par la suite, il fera la rencontre de Lord Henry, qui éveillera ce qu’il y a de plus sombre en Dorian Gray. Il lui fera prendre conscience de l’importance de sa beauté, cette beauté qui sera immortalisée sur un tableau. Ainsi naît la jalousie de Dorian envers ce portrait de lui-même qui renferme tout ce qu’il a. Il fera donc le souhait de rester jeune à tout jamais pendant que le tableau récoltera tous les défauts physiques et moraux. Commence alors la débauche de ce jeune homme qui n’est plus si innocent. Il sombre dans un univers érotique, dépravé, il goûte à tous les excès… jusqu’au jour où il est confronté à la laideur de son âme.

Se déroulant à deux époques très éloignées, ces deux livres abordent une thématique qui n’en demeure pas moins d’actualité. Amour démesuré de soi-même, manipulation, fin tragique. C’est, selon moi, un cocktail parfait.

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