Pour une poignée de dollars

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L'an dernier, Robert Laffont publiait le second roman d'un avocat australien nommé Elliot Perlman. Ambiguïtés, retenu parmi les vingt meilleurs livres de l'année 2005 par le magazine Lire, exposait l'histoire de Simon Heywood, un jeune enseignant à la dérive qui kidnappe un jour un petit garçon dans la cour d'une école. Sam, 6 ans, est le fils d'Anna. Anna, dernier véritable amour de Simon, l'a quitté il y a déjà dix ans. Elle vit avec Joe, courtier et conseiller de grosses fortunes en pleine ascension. Joe est un client régulier d'Angélique, une prostituée de luxe. Angélique aime Simon, qui ne lui paie en retour qu'une franche amitié.

Compliqué? Ajoutez à cela la relation de Simon avec son thérapeute et ami Alex, les confessions de Dennis, collègue handicapé de Joe qui finit par croiser la route d’Angélique, et vous obtenez au lieu d’un bête soap farci de jeux de coulisses et d’amants sous le lit un récit diablement bien mené, tout en subtilité, à la structure impeccable. Sept parties, sept points de vue. The Sound and the Fury avec pour toile de fond un monde de requins qui se font les dents sans trop de remords sur la chair publique. Simon, petit prof dévoué et brillant, est au chômage après des coupures du gouvernement qué…, pardon, australien, au budget de l’éducation. L’arrogant Joe finira par manger ses bas par les talons après avoir mené une affaire qui repose sur la privatisation du réseau de la santé. Simon, lui, paiera cher pour son crime qu’il n’a pas commis… à moins que ce ne soit sa faute qui le sauve et lui rende Anna et le goût de l’engagement? On ne sait pas trop et c’est bien comme ça. On ne fait pas de rock n’ roll avec de la guimauve. Un écrivain engagé n’a pas à être embedded.

Trois dollars

Il y a quelques temps, nous parvenait la traduction de Three Dollars, premier roman d’Elliot Perlman. Certains livres ont les défauts de leurs qualités. Boîte à surprises sur la vie ordinaire, Trois dollars, premier roman de l’auteur d’Ambiguïtés, est si séduisant qu’on lui donnerait plutôt les qualités de ses défauts.

L’été de ses neuf ans, Eddie perd sa meilleure amie. Elle n’est pas malade. Elle n’a pas déménagé, ni rien: Eddie est de la classe moyenne et la mère d’Amanda, épouse d’un ingénieur chimiste devenu capitaine d’industrie, tient son rang.

Trente ans passent. Eddie est à son tour ingénieur chimiste, marié à Tanya, brillante doctorante qui planche sans trop de succès sur une thèse intitulée La mort de l’économie politique. Nous sommes à la fin des années 80, au moment où la Bourse remplace la circulation aux bulletins télévisés. Tandis que le gouvernement québ… australien liquide le patrimoine public, le cours d’Eddie, employé au ministère de l’Environnement, s’effondre brutalement… Le voici sur le pavé, trois dollars en poche, jusqu’à ce qu’il soit sauvé par Amanda, comète blonde ou Deus ex machina qui repasse tous les neuf ans dans l’histoire. Dans cette charge contre le néolibéralisme, cette critique de l’approche-client des universités, ce discours sur la civilité, cet hymne à l’amour, bref, ce roman, il est aussi question d’Elvis, de Joy Division, et de la difficulté à régler l’hypothèque.

D’une structure minimaliste par rapport au livre suivant, étant entièrement focalisé sur un personnage, Trois dollars n’en constitue pas moins une belle variation sur l’éducation sentimentale, dépassant le refrain des illusions perdues. Les valeurs d’Eddie Harnovey, à la toute fin, sont sur le point d’être compromises précisément parce qu’il a été intègre. Je ne vous en dit pas plus. Cette ambiguité, c’est l’art de monsieur Perlman. Ou du roman.

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