Paul Auster: Le charme de New York

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Qu’advient-il de la passion d’écrire d’un auteur qui a signé une trentaine d’ouvrages? Écrit-on par habitude, pour satisfaire le public ou la critique ou alors pour vivre et survivre? J’estime que Paul Auster est de ceux qui écrivent par nécessité, qu’il est animé aujourd’hui de la même force créatrice qu’à ses débuts. Son dernier roman, Invisible, publié en mars dernier, ne déçoit pas et vient à nouveau souligner son extraordinaire talent de conteur. Tous les thèmes de prédilection de l’écrivain américain s’y retrouvent, l’intrigue, quoique complexe, est tissée habilement, de sorte qu’à aucun moment elle ne fera perdre l’attention du lecteur, et la charge émotive est à son comble : du grand Auster, quoi!

Né en 1947 à Newark dans le New Jersey, Paul Auster est l’auteur d’un œuvre qui a touché et fait bon nombre d’inconditionnels, dont je suis. À quoi est dû cet élan de fidélité alors que nous baignons dans une mer de publications? D’abord, c’est à mes débuts comme libraire que j’ai mis la main sur la désormais célèbre «Trilogie new-yorkaise», constituée de Cité de verre (1987), Revenants (1988) et La chambre dérobée (1988). Ensuite viendra L’invention de la solitude (1992), Moon palace (1990), et La musique du hasard (1993), trois livres dans lesquels on retrouve la même puissance narrative, et qui se répondent les uns aux autres. Malgré qu’il ne soit pas toujours de force égale (mais qui pourrait se vanter d’une telle constance?), l’œuvre de Paul Auster forme un tout. Il y a souvent des drames dans les livres de l’auteur, de ceux qui font changer le cours d’une vie, d’habiles mises en abîme, des âmes esseulées. L’homme est fasciné par les hasards et les coïncidences, comme autant de clés qui aident à l’interprétation de soi et du monde. Alors que le procédé pourrait sembler redondant, je crois plutôt que Paul Auster possède l’art de traiter sous de multiples angles une même problématique. Il a ce don pour nous faire croire à des histoires improbables, de nous mener dans des labyrinthes desquels nous sortirons parfois avec plus de questions que de réponses. Quand on entre dans un livre de Paul Auster, il y a tout de suite une magie qui opère. Il y a un style qui n’appartient qu’à lui.

En plus de bien rendre compte de l’esprit américain et des dessous de sa politique, son propos est universel. Nous nous sentons interpellés et confrontés à notre propre histoire, comme si nous faisions partie de l’équation. Écrivain intuitif et philosophe, Paul Auster est aussi un passionné des mots, de leur sens ou leur non-sens, de leur pouvoir ou de leur inutilité. Bref, un auteur attentif à tout ce qui touche les méca­nismes du langage. De plus, bien que ses textes soient traduits de l’anglais, il est un fin connaisseur de la langue française. Auteur de quelques essais, recueils de poésies et pièces de théâtre, il a aussi fait quelques incursions dans le milieu du cinéma en tant que scénariste et réalisateur. Son grand sens de l’esthétisme est mis de l’avant dans son roman Le livre des illusions (2002), où Paul Auster, dans une remarquable envolée, nous décrit plan par plan une série de courts métrages qui n’ont jamais existé.

C’est avec soin que j’ai choisi le cahier dont les pages se noirciraient peu à peu des notes qui formeraient cet article. Comme certains personnages créés par Paul Auster — ou comme Paul Auster lui-même? —, j’aime parcourir les rayons d’une papeterie, admirer les couleurs des cahiers, en toucher le papier et, par-dessus tout, écrire à la main. Alors que cette habitude pourrait sembler banale et archaïque, Auster la transforme dans La nuit de l’oracle (2004) en un geste énigmatique. Il met en scène un personnage qui ressentira une attraction particulière envers un carnet bleu. Et les mêmes questions demeurent, campées dans des univers étranges, surréels. Le rapport de Paul Auster à l’acte d’écrire est d’ailleurs souvent évoqué, dans ses essais tout comme dans ses œuvres de fiction.

Je ne prétends pas apporter ici une interprétation nouvelle à son travail, le style «austérien» ayant très souvent fait l’objet d’analyses. L’homme, aussi, fascine pour son charisme, son charme mystérieux, son esprit. Je veux simplement me compter parmi ceux qui clament que son apport à la littérature contemporaine est marquant, et contribue à faire avancer la société.

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