Mario Vargas Llosa: Paris et la littérature

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Le nouveau roman de Mario Vargas Llosa, Tours et détours de la vilaine petite fille, nous entraîne sur le chemin de la vie de l'auteur. Ce dernier nous dévoile sa passion pour Paris, mais aussi pour cette époque où la littérature latino-américaine vivait un véritable «boom» dans la Ville Lumière.

Ricardo arrive à Paris durant l’effervescence des années 1950. Il rêvait, petit, de quitter le Pérou pour aller vivre dans la Ville Lumière. À cette époque, Paris est un lieu de ralliement pour tous les révolutionnaires latino-américains qui souhaitent propager la révolution cubaine ou mourir en héros. Pour aider son ami Paul, il passe prendre des camarades péruviens à l’aéroport Charles-De-Gaulle. C’est alors que surgit du passé un amour de jeunesse : la Chilienne du quartier Miraflores ou «la mauvaise fille», comme la surnomme affectueusement Ricardo. L’amour ne dure qu’un temps et la mauvaise fille part pour Cuba rejoindre le camp d’entraînement…

Ricardo trouve du travail comme traducteur pour l’Unesco. Tout au long de sa vie, à Paris, à Londres, dans ses nombreux voyages à travers l’Europe, l’Afrique, et même l’Asie, Ricardo n’est qu’un observateur, un technicien des langues qui traduit dans l’ombre ces décennies mouvementées. Les protagonistes se rencontrent sur fond d’événements historiques : à Paris à l’époque de la «nouvelle vague», à Londres avec les hippies et le rock des Stones, à Tokyo, cette mégapole aseptisée. Ricardo termine son périple à Madrid où les Latino-Américains viennent passer leurs vieux jours.

Tours et détours de la vilaine petite fille est-il un roman d’amour par lequel Mario Vargas Llosa nous fait découvrir les passions de sa vie? L’écrivain ne s’en cache pas : il utilise l’histoire, en partie la sienne, pour faire évoluer ses personnages. Il nous livre ses états d’âme, son appréciation des villes, des auteurs de l’époque, des valeurs des sociétés : il s’agit d’un véritable panorama. Lorsqu’une fresque est complète, les protagonistes nous amènent devant un nouveau tableau. À travers le regard du personnage central, nous voyons tout — mais la vérité se cache toujours derrière un mensonge distingué. « En effet, les romans mentent, ils ne peuvent s’en empêcher, écrit Vargas Llosa dans La Vérité par le mensonge. Dans l’embryon de tout roman frémit une insatisfaction, palpite un désir inassouvi. »

Un homme en mouvement
Avec tous ces voyages, nous imaginons que Mario Vargas Llosa a assouvi ses désirs. Dans La Vie en mouvement, un entretien avec Alonso Cueto, l’écrivain nous raconte les différentes étapes de sa vie. Il se remémore son parcours de Cochabamba en Bolivie avec toute sa famille, puis la vie difficile avec son père, pendant laquelle l’écriture est devenue sa source de liberté. Enfin, les années du collège Leoncio Prado, le bizutage — « Tu restais alors à la merci des élèves de seconde qui tombaient sur toi comme une nuée de sauterelles », écrit-il. À sa sortie, Vargas Llosa entre au journal La Cronica, un emploi de nuit qui lui fait découvrir les bordels de Lima. Il prend par la suite la route de Piura pour compléter son secondaire. L’année suivante, en 1953, il entre à l’Université de San Marcos. En 1958, il part pour l’Europe où il publiera son premier roman, La Ville et les Chiens, inspiré sans équivoque par ses trois années de collège militaire.

Dans la seconde partie de La Vie en mouvement, Jorge Semprun témoigne du caractère indomptable de Vargas Llosa en citant un passage du discours que ce dernier a fait à Caracas en recevant le prix Romulo-Gallegos en 1967 : «Il faut cependant rappeler à nos sociétés à quoi elles peuvent s’attendre. Il faut qu’elles sachent que la littérature c’est comme le feu, qu’elle signifie dissidence et rébellion, que la raison d’être de l’écrivain est la protestation, la contradiction, la critique.»

Toujours dans La Vie en mouvement, Stéphane Michaud, écrivain et lecteur, revient sur la vie de Vargas Llosa à Paris, où ce dernier dit avoir vécu ses plus belles années. Le chapitre relate surtout les débuts de l’auteur, mais ce sont les débats entourant les orientations politiques de l’écrivain que Michaud tente de réhabiliter ou de justifier auprès d’une gauche qui l’a plus ou moins renié : il est critiqué pour avoir reproché à Castro son rejet de la liberté de parole. De plus, sa critique de l’indigénisme lui a valu les
plus virulents reproches. «L’exaltation souveraine de la veine indienne, conçue comme le seul salut
pour l’avenir des lettres et des sociétés de l’Amérique hispanique», Vargas Llosa n’y croit pas. Enfin, Albert Bensoussan conclut le dithyrambe pro-Llosa qu’est La Vie en mouvement par un aveu de son amour de la traduction et de l’auteur.

Amours et combats
En plus d’être un romancier reconnu, Mario Vargas Llosa peut jouer au critique littéraire de façon magistrale, comme en témoigne le recueil La Vérité par le mensonge, publié chez Gallimard en 1992 et dont une réédition augmentée vient de paraître. L’auteur y a regroupé trente-cinq articles sur les romans qui ont le plus marqué sa longue vie de lecteur passionné. Nous y découvrons non seulement des commentaires intéressants sur Günter Grass, Graham Greene et Albert Camus, mais aussi sur le contexte historique des œuvres qu’il nous fait découvrir.

Dans le Dictionnaire amoureux de l’Amérique latine, Vargas Llosa commente les bons coups comme les coups durs de l’Amérique latine. Des articles sont consacrés au Kola Real, à Fidel Castro et à José Carlos Mariatéguy. La boisson gazeuse et Fidel sont légendaires, mais c’est probablement Mariatéguy qui a le plus influencé le commentateur. Socialiste péruvien d’envergure, c’est sa thèse sur l’indigénisme péruvien qui fera sa renommée. Ce Dictionnaire amoureux est un ouvrage intéressant qui nous permet de découvrir rapidement les opinions de l’auteur. Nous regrettons toutefois que Plon, pour le même prix, n’ait pas illustré cet ouvrage de référence.

Vargas Llosa est-il un écrivain mal compris? Gallimard et Alfaguara (éditeur espagnol) mettent le paquet pour réhabiliter l’homme auprès des intellectuels. Au prix de quatre éditions durant la dernière année, l’écrivain n’aura peut-être jamais été si près de l’ultime récompense, le prix Nobel… Tout dépendra de l’accueil que recevra son dernier roman, Tours et détours de la vilaine petite fille. Chose certaine, l’écrivain a laissé sa marque dans la littérature internationale — et ceci, personne ne peut le considérer comme un mensonge.

Bibliographie :
Tours et détours de la vilaine petite fille, Gallimard, coll. Du monde entier, 416 p.
La Vérité par le mensonge, Gallimard, coll. Arcades, 410 p., 30,95$
La Vie en mouvement. Entretiens avec Alonso Cueto, Gallimard, 148 p., 25,95$
Dictionnaire amoureux de l’Amérique latine, Plon, 744 p., 53,95$

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