Les grandes îles au temps des Celtes

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Trois auteurs anglais ayant librement puisé dans l'histoire des Celtes ont marqué mes vacances pluvieuses de 2003. Manda Scott (Le Rêve de l'aigle) et Viviane Moore (Par le feu), deux habituées des intrigues policières nous font découvrir leur vision de l'Isle de Bretagne et de l'Irlande, derniers bastions celtes face aux légions romaines ; tandis que Robert Holdstock (Celtika), un maître de la fantasy, nous entraîne encore plus librement dans la quête de Brennos, qui envahit la Grèce au 3e siècle avant J.-C.

Quel plus beau terreau pour un romancier que l’histoire des Celtes ! Peuple guerrier vouant un culte à ses héros et à ses morts, il a dominé l’Europe durant la plus grande partie de l’âge de fer (1er millénaire avant J.-C.). Ces bandes de clans fédérés conduits par des princes guerriers issus du centre de l’Europe envahirent l’Italie, la Grèce, peuplèrent la Gaule, les îles britanniques, puis furent presque rayées de la carte par les Romains. Pratiquant une religion axée sur la nature et peuplée de dieux violents, dirigée par des druides au pouvoirs surnaturels, les Celtes croyaient en l’immortalité et n’avaient peur que d’une chose : que le ciel leur tombe sur la tête. Quel terreau fertile en effet, puisque l’imagination du romancier peut combler les multiples trous de nos connaissances ! Un gouffre dû à l’absence de trace écrite, sinon celles de leurs ennemis.

L’Eire magique des druides

Créatrice de la série du Chevalier Galeran de Lesneven, Viviane Moore nous avait habitués à des intrigues policières médiévales, où la logique prenait le pas sur la superstition. Par le feu est d’une tout autre facture. Magie, mystère, fantastique parsèment ce roman onirique déroutant qui nous fait plonger dans une culture où le rêve guide l’action. Celle-ci se situe en 420, peu avant la christianisation de l’Irlande par saint Patrick et l’implantation de l’écriture. Le récit s’ouvre sur le rêve du jeune druide Eogan le sombre : la condamnation par le pouvoir druidique et l’exécution par noyade d’une jeune femme belle et fière. Un rêve prophétique qu’il interprète comme la fin de Tara, terre sacrée, considérée comme le « centre » des cinq royaumes qui se verront divisés par traîtrise. Avec son frère de sang, Fergus le rouge, Eogan partira, les pas guidés par la psalmodie des chants sacrés, vers le sanctuaire druidique d’Emain Macha, où il devra trouver réponse à ses questions. Dans leur quête, ils croiseront plusieurs fois la route du sanguinaire Brion le balafré, guerrier au pouvoir presque surnaturel, chef des mercenaires Fianna.
Il est difficile de rendre l’intensité de cette fiction envoûtante pleine de violence et de magie où la nature elle-même devient personnage. Viviane Moore a su rendre, à la fois dans l’écriture et dans l’action, la culture et l’expérience religieuse si particulières des Celtes.

Un peuple de guerrières

Roman empreint lui aussi de la culture celte, Le Rêve de l’aigle, premier tome de « La Reine Celte » de l’Écossaise Manda Scott, nous propose une écriture beaucoup plus moderne et nerveuse. La base historique de cette fiction constituée de l’histoire de Bouddica, reine des Icènes, qui, en 50 après J.-C., rassembla diverses tribus de la Bretagne celte (Angleterre) pour chasser les légions romaines de leurs territoires. Le roman nous attache aux pas de Breaca et de Ban, frère et sœur aux destins opposés. Breaca deviendra la reine guerrière des tribus celtes, tandis que Ban sera enlevé, vendu comme esclave, puis engagé dans une légion romaine. Chacun croyant l’autre mort, frère et sœur se retrouveront cependant dans des camps différents lors d’une bataille sanglante. Le Rêve de l’aigle nous permet de suivre les luttes de pouvoir des trois fils de Cunobelin, roi des Trinovantes : l’héritier et diplomate Togodubnos ; le perfide Amminios, allié des Romains ; et le plus jeune, le fougueux Caradoc, pressé d’en découdre avec ces mêmes Romains. On croise l’empereur fou Caligula, qui voudrait bien ajouter Britannicus à son nom et Corvus, Romain loyal mais amis des Icènes.

Toute une batterie de personnages fouillés, crédibles mais pourtant si différents de nous, se joignent à eux et parsèment ce roman épique d’une grande efficacité. Manda Scott ne tombe pas dans le piège manichéen des bons et des méchants : de chaque coté, on retrouve des personnages qui commandent le respect. On est déroutés par ces femmes guerrières qui n’ont pas peur de tuer et de mourir, ces druides dont les rêves deviennent réalité, ce peuple pour qui l’honneur, le courage, la force, l’amitié (qui se transforme de façon naturelle en homosexualité tant chez les hommes que chez les femmes) sont les valeurs suprêmes. Bref, nous avons là un livre intelligent qui se dévore de la première à la 638e page et, si les deux autres tomes sont à la hauteur du premier, l’amorce d’une série culte.

L’âge de fer et des mythes

Robert Holdstock n’a que faire, sinon comme toile de fond, d’une époque méconnue : l’âge de fer. Il se soucie encore moins de vraisemblance dans ce roman de fantasy pure, qui nous entraîne dans les vagabondages de l’enchanteur Merlin, personnage mythique dont la vie s’écoule sur un chemin parallèle, hors du temps. Compagnon de Jason lors de la conquête de la Toison d’or, il ressuscitera ce dernier 700 ans plus tard, et partira avec lui à la recherche de ses fils, cachés dans les méandres du temps par la magicienne Médée. L’un d’eux est éclaireur de Brennos, chef de guerre des tribus celtes qui se prépare à envahir la Grèce avec ses trois armées (vers 500 avant J.-C.). Nous participons donc à cette grande quête de gloire des Celtes, une quête historique intimement mêlée à celle, mythique, de Jason et Merlin, où les hommes se transforment en aigles, où les navires sont doués d’esprit et où les morts occupent des mondes parallèles. Celtika rebutera plus d’un lecteur par son extravagance, mais ceux qui ouvriront leur esprit à cet univers de fantaisie et de légendes passeront quelques heures de pur plaisir. Holdstock possède l’art de raconter des histoires avec ce qu’il faut d’action, d’humour, de passion et de surprises.

Spiritualité, action et magie : trois romans fort différents, trois facettes de cette civilisation mythique, trois livres qui raviront ceux pour qui la lecture n’est pas qu’une activité intellectuelle, mais également un plaisir des sens.

Et les Romains…

Enfin, pour conclure ces lectures « celtiques », soulignons le très bon roman de l’Italien Valério Manfredi, qui nous transporte au Ve siècle avec La Dernière Légion. Pourchassée par les barbares, cette légion, ultime rempart de la Rome antique, sauvera le dernier empereur romain et, guidée par le sage Myrdin, l’accompagnera à son dernier refuge : la Bretagne celte. Un roman d’aventure qui fusionne les univers celte et romain et qui nous mène à l’aube … d’une nouvelle mythologie. Surprenant !

Bibliographie :
Par le feu, Viviane Moore, Le Masque, coll. Labyrinthes
Le Rêve de l’aigle : La Reine Celte (t.1), Manda Scott, JC Lattès
Celtika, Robert Holdstock, Le Pré aux Clercs
La Dernière Légion, Valério Manfredi, Plon

Et pour en savoir plus sur l’univers des Celtes, L’Europe des Celtes de Christiane Éluère, Gallimard, coll. Découvertes Gallimard

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