L’ingénieur poétique ou l’inclassable adolescent

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Ingénieur, inventeur, musicien, chanteur, traducteur, pataphysicien et, bien sûr, écrivain, Boris Vian a vécu à fond. Malgré sa courte vie, l'auteur français laisse derrière lui une œuvre d'une densité remarquable. À la fois poète, parolier, nouvelliste, dramaturge et romancier, il a versé dans tous les genres auxquels se prête la fiction, en plus de contribuer à la revue Jazz Hot. Vian a d'ailleurs été consacré cette année dans la prestigieuse «Bibliothèque de la Pléiade» : un honneur bien mérité.

Amoureuse des mots de Boris Vian, je me demande par où commencer pour vous parler de cet écrivain que je chéris tout particulièrement. Je crois que quelques informations biographiques s’imposent, puisque sa vie marque son œuvre. Né le 10 mars 1920 à Ville-d’Avray, on lui diagnostique une maladie du cœur au début de son adolescence; cette maladie laissera des traces dans ses textes, notamment dans L’arrache-coeur. Côtoyant des artistes comme Raymond Quenau, qui a d’ailleurs édité son Vercoquin et le plancton en 1946, et Jean-Paul Sartre, dont il est question dans L’écume des jours, Vian s’inscrit dans le courant intellectuel de la rive gauche de Saint-Germain-des-Prés. C’est le 23 juin 1959 qu’il succombera à une crise cardiaque, dans un hôpital de Paris, après s’être effondré au cinéma lors de la première de J’irai cracher sur vos tombes, film inspiré par son roman, mais dont il critique l’interprétation qu’en ont fait les producteurs.

Imagination corrosive
Je me souviens encore de ma première incursion dans le monde fantaisiste de Boris Vian, il y a déjà plusieurs années de cela, alors que L’écume des jours était au programme d’un cours de français, heureusement! Je n’avais alors jamais rien lu de tel; l’univers poétique du roman, où l’on ressent l’influence du surréalisme, m’a tout de suite conquise. Dans cette histoire, qui «est entièrement vraie, puisque [Vian l’a] imaginée d’un bout à l’autre» (avant-propos de L’écume de jours, par Vian lui-même), les anguilles sortent des robinets, l’idole de l’heure est un certain Jean-Sol Partre, le barman est remplacé par un «pianocktail», l’arrache-cœur est une arme et la maladie revêt l’apparence d’un nénuphar. Ce «roman-jazz» est à mes yeux l’une des plus belles histoires d’amour de la littérature: Colin et Chloé n’ont certes pas à rougir devant Tristan et Iseult.

Il est impossible de parler de Boris Vian sans mentionner Vernon Sullivan, puisqu’il s’agit d’un des nombreux pseudonymes qu’a empruntés l’écrivain. C’est sous ce nom qu’il publiera le très controversé J’irai cracher sur vos tombes, roman qui fut qualifié d’immoral et à cause duquel Vian fut condamné pour outrage aux bonnes mœurs. Cru, dénonciateur, violent et érotique sont à mon avis les qualificatifs qui dépeignent le mieux cette histoire que j’ai littéralement dévorée; je ne pouvais poser mon livre sans aussitôt le reprendre.

Contrainte par l’espace, je ne peux aborder qu’une parcelle de l’œuvre vianesque, mais je tiens à souligner que chaque texte de cet auteur est teinté d’une couleur jazzée qui lui est propre. Je crois que si l’on tombe sous le charme de sa plume, eh bien, c’est pour toujours. L’éclat de sa verve et la beauté violente de ses histoires bouleversent et dépaysent. À la fois ludique et subversif, Boris Vian est un auteur original dont je me délecte, une page à la fois.

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