Istanbul: La nostalgie d’Orhan Pamuk

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Bien que son œuvre ne compte tout au plus qu’une dizaine de livres, Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature en 2006, est certainement l’écrivain turc le plus connu dans la francophonie. Il a remporté le Médicis étranger en 2005 pour son roman Neige. Toutefois, il sera question ici d’un de ses livres les plus personnels, Istanbul. Souvenirs d’une ville, publié chez Gallimard en 2007.

C’est un livre impressionniste. L’auteur, à travers ses souvenirs personnels, finit par dessiner les traits de son lieu d’origine. Il faut dire que la ville est fascinante. Pour y avoir passé une semaine, il y a quelques années, je peux témoigner du caractère captivant que lui confère la stratification des époques successives. Bien sûr, comme partout, le temps –et surtout le XXe siècle – a sévi, avec ses gros sabots, effaçant du coup les marques d’une ère révolue. Pamuk déplore d’ailleurs l’inexorable destruction des typiques maisons de bois.

L’auteur fait très bien sentir une réalité immatérielle dans ce magnifique livre : les Stambouliotes, lui y compris, portent cette espèce de nostalgie des années dorées de la ville, celles où l’Empire ottoman dominait une grande partie de l’Est méditerranéen. Pour accompagner son propos, il parsème son livre de superbes photographies en noir et blanc de la ville, qui en font ressortir la nostalgie, justement. Certaines ont été prises par Pamuk lui-même ou sont tirées des archives familiales qu’il conserve. Il révèle d’ailleurs qu’il a eu l’impression de vivre dans une ville couleur de plomb, dans des lieux « comme sortis de films de gangsters ».

Au-delà d’un portrait d’Istanbul, c’est celui de l’auteur lui-même qui est retracé ici, et de sa famille qui, à l’image de la ville et de l’empire, a connu autant des périodes de gloire que des difficultés. La famille dans sa définition élargie prend ici une place prépondérante, avec la présence fondamentale de toute cette smala faite des grands-parents, ainsi que des oncles et tantes, occupant tous la grande maison familiale du quartier Nisantasi, sur les hauteurs entre le Bosphore et la Corne d’or.

Comme au hasard des rues tortueuses de cette métropole, nous errons aussi dans les riches univers de la littérature, de l’histoire de l’art, de l’architecture, avec lesquels la grande culture de l’auteur fait des liens éclairants, toujours pertinents. Par exemple, il nous expose le passage d’écrivains français tels Gérard de Nerval ou Théophile Gautier. Il présente de même l’œuvre des illustrateurs célèbres qui ont immortalisé la vieille Constantinople, notamment les gravures d’Antoine-Ignace Melling au début du XIXsiècle ou, plus tard, celles de William Henry Bartlett, cet Anglais qui vint aussi chez nous dans les années 1830.

Certainement, cette lecture est fascinante, même pour qui n’a pas eu la chance de visiter cette ville mythique. Pamuk, indéniablement, rend tout l’intangible contenu dans ce qualificatif. La mémoire, tant celle de l’auteur que celle de sa ville, se nourrit ici à des racines profondément enfouies dans l’imaginaire collectif.

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