Frédéric Beigbeder: Quand le cynisme devient marque de commerce

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Cynique. Pessimiste. Morose. Trois qualificatifs qu’on peut attribuer aux livres de Frédéric Beigbeder. Pour nous, libraires, ce sont généralement trois mots qui n’aident pas à vendre un livre. Mais chez Beigbeder, c’est devenu sa marque de commerce (oui oui, une marque de commerce Fréderic BeigbederMD, ne lui en déplaise). Comme une drogue, la « Beigbedecstasy », elle nous incite à lire — et à conseiller! — toute son œuvre. Parce que derrière ses thèmes très sombres, Beigbeder montre aussi l’espoir. L’espoir que tout ira mieux demain. Pour ses personnages, oui, mais peut-être aussi un peu pour nous, le lecteur, l’être humain.

Révélé au public par 99 francs, son quatrième roman qui lui a valu d’être licencié de l’agence publicitaire pour laquelle il travaillait, Beigbeder est un grand cynique qui prend un malin plaisir à dénoncer les torts et les travers du capitalisme sauvage en général et du milieu publicitaire en particulier. Octave Parango, alter ego à peine dissimulé de l’auteur et descendant bien en règle de Marc Marronnier — le protagoniste de sa trilogie précédente —, est écœuré par les crimes capitalistes de l’humanité dont il est le témoin, mais aussi l’exécutant. Il deviendra donc le Robin des Bois de la pub et du petit peuple. Mais attention, derrière cette histoire de rebelle mondain, ce sont les sentiments humains que l’auteur se plaît le plus à infliger à Octave. Incapable d’amour vrai, mais surtout incapable d’amour-propre, c’est par le crime que le phénix renaîtra de ses cendres. Mais à quel prix? Le destin tragique d’Octave trouvera d’ailleurs son dénouement dans Au secours pardon.

Mais Beigbeder, ce n’est pas que l’amour et la guerre! C’est aussi le sexe, la drogue et le rock’n’roll! Certes, les deux premiers romans de l’écrivain sont moins profonds, mais d’autant plus subversifs. Les mémoires d’un jeune homme dérangé raconte les débuts de Marronnier, alors chroniqueur mondain parcourant le night-life avec son ami débauché Jean-Georges. Vacances dans le coma est pour sa part un texte complètement déjanté dans lequel Marronnier, invité à l’ouverture du nouveau club branché Les Chiottes, boitillera toute la soirée entre les pourcentages d’alcool et les pourcentages de chances de coucher avec la prochaine venue. Un roman rempli de «name-dropping», drôle et dérangeant.

Le bonheur n’existe pas. L’amour est impossible. Rien n’est grave. C’est finalement ce mantra, tiré de L’amour dure trois ans, que Frédéric Beigbeder essaiera de contredire tout au long de son œuvre. Dans ce roman, qui clôt la trilogie sur Marc Marronnier, on retrouve les thèmes les plus récurrents de son univers: l’amour, certes, et le désabusement social, mais aussi le spleen de l’homme moderne qui évolue maladroitement entre liberté et fidélité. Fidélité face à l’autre, mais aussi face à soi-même. L’intrigue s’ouvre sur une rupture. Marc Marronnier, coupable d’adultère, cherchera du réconfort chez Alice, également mariée. Mais n’oublions pas que l’amour ne dure que trois ans. Quoique… Ce roman est devenu mon favori dès la première lecture. Entre lucidité et romantisme, on découvre un Marronnier/Beigbeder qui a un grand cœur derrière ses allures de party animal déjanté.

Windows on the World, c’est le Titanic de Beigbeder. Le 11 septembre 2001, un père emmène ses deux fils manger au sommet du World Trade Center. On connaît, malheureusement, la suite. L’auteur alterne entre ce récit et ses propres réflexions sur l’évènement sinistrement célèbre. Ce roman, qui a valu au romancier le Prix Interallié, est de loin son plus sensible.

Dans Un roman français, récompensé du Renaudot 2009, Frédéric Beigbeder sort du placard. Fini les avatars, l’auteur se met à nu avec comme prémices son arrestation et sa mise en garde à vue pour possession de drogue, point de départ qui le fera passer de sa généalogie à son histoire personnelle. Une autofiction qui pourrait expliquer la teneur de ses livres précédents. On découvre (peut-être!?) enfin l’humain, toujours aussi subversif et cinglant.

Beigbeder, c’est, contre toute attente, la lumière au bout du tunnel. Malgré le pessimisme et la noirceur de ses romans, c’est la rédemption que rechercheront, et parfois atteindront, ses personnages. Lire ses livres, c’est accepter de remettre ses valeurs en question, de plonger au plus profond de soi-même. Une apnée dont on ne remontera pas indemne.

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