Émile Zola: Les yeux d’une époque

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Lorsqu’on s’attaque à un auteur du calibre de Zola, il est difficile de savoir par quel côté commencer. Son œuvre est gigantesque, les études sur ce dernier le sont encore plus. N’importe quel lecteur ne connaissant pas Émile Zola peut facilement se perdre avant d’avoir lu une seule page! Son œuvre est souvent boudé, jugé trop descriptif et peu actuel. Détrompez-vous! Bien que ses livres puissent quelquefois paraître arides, ils renferment une puissante étude sociologique de l’époque du Second Empire, en plus d’une analyse psychologique des plus pertinentes de chacun des personnages. Zola dépeint avec brio l’époque dans laquelle il vivait, une époque que, en tant que républicain convaincu, il jugeait totalement déraisonnable. Ce cynisme envers les décideurs de son époque résonne de façon cinglante dans l’entierté de son œuvre.

Le style de Zola est particulier, voire unique. Tête d’affiche des naturalistes, il établit lui-même les grands principes de ce courant littéraire: il s’agissait d’appliquer des méthodes empiriques (dont les résultat sont basés sur des faits et expériences) dans le processus de la création littéraire.

L’auteur émet donc une hypothèse qu’il tentera, tout au long du roman, de confirmer ou d’infirmer en plongeant ses personnages dans des conditions données. Et c’est là que l’œuvre romanesque de Zola devient incontournable. Par la rigueur de ses recherches et la justesse de ses conclusions, la fresque du Second Empire qu’il dresse dans les «Rougon-Macquart» est des plus justes et des plus pertinentes. S’inspirant des recherches de l’époque, Zola abordera comme principal thème l’hérédité. Il plonge ses personnages dans plusieurs situations où les défis semblent insurmontables et où la fin ne semble justifier aucun moyen. Ses personnages parviendront toutefois à franchir plusieurs obstacles pour goûter au bonheur, mais cette remontée à la surface n’est qu’une façon, très typique chez Zola, de les faire tomber de plus haut. Les fins de Zola sont identiques et inévitables: on ne peut s’en sortir.

C’est après quelques livres que l’auteur se lance dans la fresque historique et sociologiquement parfaite qu’est les «Rougon-Macquart». Inspiré par «La Comédie Humaine» de Balzac, Zola entreprend cette série qui comptera vingt romans. On n’a qu’à penser à Germinal, La Bête Humaine, Le Ventre de Paris, L’Assommoir ou encore Au bonheur des dames. La colonne vertébrale de cette œuvre est sans équivoque l’arbre généalogique imposant de cette famille, arbre généalogique qu’il ne cessera de peaufiner jusqu’au dernier roman, alors que chacun de ses livres met en vedette des personnages issus de cette famille. Avec comme sous-titre Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire, Zola choisit dans chaque roman un sujet précis qu’il veut décortiquer et explorer dans ses plus sombres facettes, que ce soit le monde ouvrier dans Germinal ou la révolution de 1851 dans Le Ventre de Paris. À l’aide d’une recherche étayée et surtout d’une rigueur dans l’écriture, Zola met sur pied cette saga qui est désormais une référence pour comprendre son époque.

Si vous n’avez qu’un roman d’Émile Zola à lire, je vous suggère sans hésitation L’Assommoir, qui est selon moi un grand chef-d’œuvre. En voici un bref résumé: on suit l’histoire de Gervaise qui est mariée à Lantier, avec qui elle à trois enfants, Claude, Jacques et Étienne (ce dernier sera le personnage principal de Germinal). Elle travaille comme blanchisseuse lorsque son mari la laissera seule avec ses trois enfants. Elle se remariera avec Coupeau, un ouvrier sans éducation avec qui elle aura une fille (qui sera l’héroïne de Nana). Alors que Coupeau se blesse sur un chantier et devient invalide, Gervaise ouvre sa propre blanchisserie. Lorsque le succès lui sourit, Coupeau tombera dans l’alcool et à partir de là, le roman amorce une descente aux enfers comme seul Zola est capable d’en décrire. Émile Zola disait de son livre qu’il est «le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple». Un roman dur, parfois dégoûtant, parfois démoralisant, mais toujours pertinent: un grand roman d’un grand auteur. Il ne me reste plus qu’à souhaiter qu’à la suite de la lecture de cet article, un curieux se procure un ouvrage de Zola et découvre, comme moi il y a quelques années, la richesse que renferment ses romans, la beauté de cette laide réalité si bien décrite, et la puissance qui transcende son œuvre.

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