Barbara Gowdy : Les Romantiques

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La passion, ça ne se vit pas que sous les projecteurs. Que nenni ! L'amour, comme le dit Stefie Shock, ça peut se trouver en plein désert, et ça tapisse bien les murs. Et tout le monde peut en profiter, avec les joies et les tourments qui viennent avec. Cette réalité, Barbara Gowdy l'a bien comprise.

Elle nous l’avait déjà prouvé dans les sublimes Anges déchus et Un lieu sûr, de même que dans On pense si peu à l’amour, recueil de nouvelles aussi dures qu’émouvantes. Dans Les Romantiques (Actes Sud), l’auteure canadienne-anglaise se surpasse ; ce qui unit Louise et Abel est à la fois un amour exalté et une lente agonie marquée par le deuil de la mère, l’absence d’origines et les rêves envolés : « Ce n’est qu’une fois rendue au milieu du roman que j’ai vu le lien entre Abélard et Héloïse. Louise est mon deuxième prénom et je l’ai utilisé pour plus d’une jeune héroïne. Et Abel est juste un prénom que j’aime bien. En fait, j’ai compris, comme Louise, qu’on pouvait difficilement qualifier son idylle avec Abel de  » grand amour  » puisque l’histoire avait été sabotée non pas par des forces externes, mais par Abel lui-même. »

Nous sommes en 1960, dans une banlieue ontarienne. Louise a 10 ans. Elle vit seule avec son père depuis que sa mère, une beauté distante plus préoccupée par sa garde-robe dernier cri que par la bonne tenue de son living-room, a disparu en laissant, scotché au frigo, un mot assassin : « Louise sait faire marcher la machine à laver. » Selon Barbara Gowdy, « c’est durant l’enfance que nos sentiments sont les plus intenses. Nous n’avons pas de recul par rapport à ce que nous ressentons ; nous nous contentons de ressentir. Nos liens et nos deuils sont donc plus poignants, et je crois que nous passons le reste de nos vies à essayer de compenser pour nos premières expériences émotives. » Lorsque qu’une famille d’Allemands, les Richter, déménage dans sa rue, Louise est obsédée par la mère, dont elle espère attirer l’attention et, dans son esprit de fillette, se faire adopter. Après un certain temps, c’est plutôt d’Abel, leur fils véritablement adopté, lui, qu’elle s’éprendra.

Chronique du passage de l’enfance à l’adolescence jusqu’au début de l’âge adulte, Les Romantiques est porté par la voix forte de Louise, qui se souvient de son amour inconditionnel pour Abel, au départ voué à l’échec. Lorsque le roman s’ouvre, dans les années 90, Abel, pianiste prometteur, vient de mourir d’une cirrhose du foie. Sa vie, il l’a noyée dans l’alcool, égarée dans la pénombre des bars de Vancouver, où il habitait avec sa famille depuis quelques années. « L’amour est au cœur de tous mes romans et nouvelles, mais avant ce livre, je n’avais jamais traité des aléas de l’amour romantique, souligne Barbara Gowdy ; je voulais que les lecteurs soient émus par l’évolution de Louise, par la transformation de cette enfant qui aimait de manière égoïste cette femme généreuse [la mère d’Abel] et, peut-être, aussi, qu’ils soient appelés à rejeter toutes leurs idées reçues sur la nature d’une dépendance affective. » Les Romantiques est une histoire d’autodestruction très troublante écrite dans une langue d’une rare élégance. Étonnamment, elle recèle aussi du bonheur et de l’espoir. Comme toujours, Gowdy se révèle une portraitiste hors pair, recréant avec soin tout un contexte historique — celui de son enfance, puisqu’elle a l’âge de son héroïne. Il en résulte un roman riche en émotions, construit avec brio et dont on sort troublés. Heureusement, chagrin d’amour ne dure qu’un temps !

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