Alejandro Jodorowsky: Ambitieux, multidisciplinaire et fonceur

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Cette année fut marquée par la sortie du film La Danza de la Realidad, une autobiographique sur la vie de l’écrivain et artiste pluridisciplinaire Alejandro Jodorowsky, enfin de retour au grand écran! Malgré une absence de plus de vingt ans dans le monde du cinéma, Jodorowsky est resté fidèle à lui-même, quelques cheveux gris en plus. C’est un film à l’imaginaire déjanté qui nous est présenté. Si les faits et les personnages sont réels, la fiction dépasse la réalité dans un univers poétique décalé. Incursion dans le monde d’un grand artiste.

Né au Chili en 1929, dans la petite ville de Tocopilla, où La Danza de la Realidad a été tourné, Jodorowsky fut confronté à une éducation très dure et violente au sein d’une famille d’immigrants ukrainiens. Sa curiosité l’amène vers plusieurs domaines : mime, essayiste, romancier, poète et scénariste. Les univers qu’il développe sont en général inspirés de la science-fiction et des mondes fantastiques. Ses histoires se caractérisent par la présence d’un grand nombre de métaphores et symboles, auxquels il mêle souvent une description sociale. D’abord étiqueté au mouvement surréaliste, Jodorowsky crée, en 1962, le groupe Panique, un « anti-mouvement » actionniste, avec Roland Toporet FernandoArrabal, en réaction, justement, au mouvement surréaliste. En 1965, il fonde au Mexique le Théâtre d’avant-garde de Mexico. Il y tourne trois films, dont le premier, Fando et Lis, déclencha une émeute au Mexique et lança sa carrière cinématographique. S’ensuivent les films cultes El Topo et La montagne sacrée. Son succès cinématographique lui valut de gagner la confiance de Michel Seydoux, producteur français de renom, et lui donna la liberté de s’attaquer à n’importe quel projet.

Et, parmi une infinité de possibilités, c’est dans l’adaptation du roman de Frank Herbert Dune qu’il décide de se lancer. 

Ambitieux projet? Certes. D’ailleurs, pour ceux qui l’auraient manqué, l’excellent documentaire de Frank Pavich (Jodorowsky’s Dune) décortique cette épopée. Une quête épique au cours de laquelle le réalisateur ne recule devant rien pour rendre réelle sa vision, allant jusqu’à débaucher une équipe de travail spectaculaire réunissant, entre autres, Orson Welles, Dalí, Mick Jagger, Pink Floyd, Moebius etGiger. Des années d’efforts acharnés y sont dépeintes, durant lesquelles l’artiste se consacre totalement au projet en y incluant même sa famille (on se souviendra de son fils, Brontis Jodorowsky, qui s’exerça aux arts martiaux pendant deux ans pour le rôle de Paul Atreides).

Mais, tout ce travail sera avorté; un échec monumental…

Officiellement, ils ont visé trop haut et le projet est trop ambitieux. Officieusement, on peut parler d’affrontement biblique, véritable David contre Goliath. Les studios hollywoodiens ont reculé, craignant le tempérament du metteur en scène. L’un des projets les plus ambitieux de l’époque, un projet de 15 millions de dollars, ne sera jamais réalisé. De la rencontre entre Jodorowsky et Moebiuset des planches retravaillées du film Dune naît la saga de L’Incal. Il s’agit d’un récit de science-fiction, sous forme de bande dessinée, illustré par Moebius. L’histoire se déroule dans un monde futuriste similaire à la Terre. On y suit les aventures de John Difool, être humain lâche et égoïste, qui se retrouve malgré lui détenteur de l’Incal. C’est une pierre métaphysique dotée d’un très grand pouvoir, recherchée par diverses factions de toute une galaxie.

Le récit exploite de nombreuses métaphores en usant de différentes notions de spiritualité, d’alchimie, de concepts jungiens. Plusieurs ont vu dans L’Incal une satire bien décapante et très actuelle de la société moderne.

Avec la bande dessinée, loin de la censure et des contraintes financières, Jodorowskytranscende l’essence et la grandiloquence du projet Dune dans un nouveau médium. Il faut savoir que la scène bédéesque s’est enrichie depuis la fin des années 60. Son essor considérable transporte la bande dessinée vers un milieu plus underground. Le contenu y est plus adulte, plus politique et parfois à la limite de la pornographie. Le genre scifi s’approprie ce milieu en usant de toute la liberté qu’il permet. Avec la création de la maison d’édition Les Humanoïdes Associés et la publication du célèbre magazine Métal Hurlant en 1974, les œuvres de ce nouveau genre peuvent vivre d’une manière totalement indépendante de la scène populaire. L’Incal y est publié de 1981 à 1989 et est devenu l’ouvrage le plus connu ainsi que le plus apprécié issu des « Humanos ». Ce monde complexe s’est finalement développé sous de multiples sagas toutes plus ou moins connexes; Avant l’Incal, Final Incal, Après l’Incal, Les Technopères, Megalex, Dayal de Castaka et La caste des Méta-Barons, scénarisées également par Jodorowsky.

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