Pour un été intelligent

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Depuis quelques jours, les devantures des librairies sont envahies par des pavés aux couvertures colorées et évocatrices. Avec le soleil et le rêve de la mer ou de la montagne, reviennent les sagas, les grandes amours passionnées, les complots si tordus et complexes qu'il faut bien tout un été pour en comprendre tous les pièges et en éviter toutes les fausses pistes. Les romans littéraires, c'est pour la rentrée ou février. Quant aux essais, ils se font rares et timides : tout éditeur vous dira qu'on ne publie pas un essai après le mois de mai. Il semble que l'été possède des droits sur la lecture et que le rite de la transat et de l'apéro interdise la réflexion, l'étude ou la découverte.

J’ai toujours pensé le contraire. Le bruit monotone et sourd des vagues, le chant délicat du vent, le bruissement des feuilles installent une sorte de calme qui libère l’esprit de l’obsession quotidienne, du souci immédiat. Je vous propose donc un été intelligent sans qu’il soit aride et triste. Vous n’y couperez pas. Durant tout l’été, les journaux, les télés vous parleront de l’islam, de l’Afghanistan, du conflit israélo-palestinien. Il n’y a pas de honte à n’y rien comprendre. Voici trois petits livres de lecture facile, mais de contenu solide.

L’Islam expliqué aux enfants, du romancier marocain Tahar Ben Jelloun (Seuil, 10,95 $), n’est pas vraiment un livre pour enfants. C’est un livre pour les enfants que nous sommes par rapport à cette religion et à cette civilisation qui nous sont largement inconnues. La construction est un peu artificielle : c’est un dialogue entre l’auteur et une de ses filles qui lui pose des questions. Le propos, lui, est succinct, clair et simple. Quatre-vingt-dix pages pour sortir des clichés que le 11 septembre a fait naître : c’est une aubaine, ne serait-ce que pour apprendre que les mots algèbre, algorithme, amalgame, chimie, hasard et zénith sont d’origine arabe.

« Les Essentiels Milan » sont une grande collection de petits livres accessibles qu’aucun sujet ne rebute. Kant, Heidegger, le Coran, l’homosexualité, voilà quelques-uns des sujets abordés récemment dans ces ouvrages de vulgarisation. Deux titres récents retiennent mon attention : L’Afghanistan, otage de l’Histoire, de Jean-Pierre Clerc, et Questions sur les Palestiniens, de J. Grange et G. de Véricourt (Milan)Dans tous les cas, la formule est la même. Une soixantaine de pages ; les textes fondateurs, les grandes dates, les principaux acteurs, des cartes, de courtes analyses historiques, un glossaire et une bibliographie. Des bijoux de petits manuels.

Sur l’islamisme, encore un autre ouvrage bref, une réédition cette fois. Le 11 septembre a redonné naissance à ce texte clair de Olivier Roy publié en 1995, Généalogie de l’islamisme (Hachette/Pluriel).

Dans un tout autre registre, celui de l’enquête approfondie, quasi policière, il faut citer le livre exceptionnel du journaliste John K. Cooley, CIA et Jihad, 1950-2001 : Contre l’URSS, une désastreuse alliance (Autrement/Frontières) Cooley, journaliste américain, spécialiste du monde arabe, a produit ici un livre fondamental pour qui refuse les simplismes de la logorrhée politicienne. On a bien sûr mentionné depuis le 11 septembre comment les réseaux islamistes ont pris force et énergie grâce aux États-Unis obnubilés par la lutte à finir contre l’Empire du mal, l’Union soviétique. Ce combat permanent, l’auteur le décrit avec la minutie et la précision d’un scientifique. Curieux ballet secret, meurtrières dérives stratégiques où s’entremêlent hommes politiques, espions, grands financiers, président et rois, trafiquants d’armes et producteurs de drogues ou multinationales assoiffées de profits : John Le Carré n’aurait pas fait mieux. Mais la réalité dépasse toujours la fiction. À lire par petites tranches, lentement, comme un roman policier complexe et touffu, plein de rebondissements dont les suites font encore la une des journaux.

Et puis, il faut bien préparer mentalement la rentrée, le retour à la vie en société et peut-être à l’action militante. L’été est un bon moment pour se poser des questions, car le temps de la mer et celui du soleil nous accordent le temps de la réflexion. Que faire, se demandent de plus en plus de gens devant le déficit démocratique qui s’est installé en Occident en même temps que la globalisation ? Généralement, effrayés par l’immensité du phénomène, par son apparence d’ouragan incontrôlable et incontrôlé, nous avons tendance à retraiter et à tenter d’assurer le bonheur de nos proches, faute de pouvoir ériger une autre société. Certains ont parfois entendu parler d’une ville devenue mythique, une ville du Brésil qui s’appelle Porto Alegre. Les activistes du monde entier en ont fait leur capitale, le symbole de leur capacité de mettre sur pied une autre démocratie. Mais voilà, se disent plusieurs, le Brésil, c’est un peu le tiers-monde et cette ville, si parfaite démocratiquement, n’est probablement qu’une bourgade, à la limite, une petite ville comme Saint-Jean- sur-Richelieu. Comment peut faire en sorte que la population puisse, par consultation populaire, élaborer elle-même le budget municipal dans une grande ville comme Montréal ? Nous sommes inconsciemment convaincus que la démocratie peut fonctionner dans de petites entités.

Deux mots sur Porto Alegre et un livre : Porto Alegre est une ville aussi grande et populeuse que Montréal et sa prospérité économique ferait rougir de fierté le maire Tremblay. Et ce sont les citoyens, non pas les élus qui déterminent le budget. Nous ne sommes pas dans le domaine de l’utopie, mais dans celui de la réalité quotidienne fonctionnelle. La démocratie participative fonctionne aussi bien, sinon mieux, que notre théâtre démocratique. Porto Alegre : L’Espoir d’une autre démocratie, de M. Gret et Y. Sintomer (La Découverte) décrit les origines et le fonctionnement de cette expérience unique aujourd’hui, mais qui sert de modèle à tous ceux qui veulent remettre les citoyens au cœur de la démocratie et non pas dans les balcons des conseils municipaux.

Enfin, pour ceux qui comme moi croient que l’été est vraiment le meilleur moment pour l’apprentissage et la compréhension, un livre de référence et de consultation que devraient se procurer tous les profs et les étudiants en politique internationale qui s’intéressent au conflit israélo-palestinien : La Paix en miettes : Israël et Palestine (1993-2000), de F. Debié et S. Fouet (PUF). Un ouvrage essentiel.

Réflexion faite, tous ces livres, même le plus aride, peuvent se déguster accompagnés d’un Perrier, d’une bière fraîche ou d’un bon rosé, de quelques crudités, d’un café, d’une mer calme ou orageuse, d’un soleil de plomb ou d’un orage soudain qui crépite sur le toit de la véranda. Bon été intelligent.

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