Michael Moore… contre George Bush !

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Décidément, cet automne, il était difficile de passer à côté de l'Américain Michael Moore. À commencer par sa Palme d'Or en vidéo à Cannes pour Bowling for Columbine, un documentaire critico-satirique sur la prolifération des armes à feu aux États-Unis - Columbine est le nom de cette école de Littleton où deux adolescents ont ouvert le feu sur leurs camarades, tuant quinze d'entre eux -, puis par la parution en français de son Stupid White Men, qu'on a traduit par Mike contre-attaque ! et s'en prend aux escrocs

Originaire de Flint au Michigan, Moore entreprend d’abord une carrière journalistique. Quand GM ferme les portes de sa méga-usine à Flint, provoquant pauvreté et désolation, il décide de tourner un documentaire dans lequel il tente de rencontrer à tout prix Roger Smith, le PDG de ladite compagnie. Cela deviendra le caustique Roger and Me, sorti en 1989. Dans un autre documentaire acide, The Big One, celui-là tourné en1998, il continue sur sa lancée et traque les patrons dont les grandes sociétés affichent des profits record, mais qui mettent tout de même à pied nombre de travailleurs. Son unique film de fiction, Canadian Bacon, voit le jour en 1995. Entre-temps, Michael Moore lorgne aussi du côté de la télé avec TV Nation et Awful Truth, et se met à l’écriture : Dégraissez-moi ça. Petite balade dans le cauchemar américain (La Découverte, 2000). Un parcours, somme toute, assez cohérent.

Moore ne serait pas Moore sans le style débonnaire et humoristique dont il accompagne ses critiques sociales dans lesquelles il se met lui-même en scène. On est très loin du sérieux d’un Noam Chomsky ou d’un Michel Chossudovsky ! Dès l’introduction et le premier chapitre du livre,  » Un putsch à l’américaine  » et  » Mon cher Georges « , le ton est donné : Georges W. Bush, ce  » cancre qui n’a rien réussi par lui-même « , déjà arrêté trois fois par la police, a manipulé les élections. Moore exige donc une intervention de l’Otan afin qu’elle accomplisse son devoir, tout comme en Bosnie et au Kosovo. Il implore le secrétaire général de l’ONU :  » Monsieur Annan, je vous en supplie, vous avez envahi des pays pour moins que ça. N’ignorez pas notre triste sort. Nous vous en conjurons : sauvez les États-Unis d’Amérique ! « 

Un pays à disséquer

Tous les travers de la société américaine y passent. Par exemple, les excès du capitalisme pur et dur font en sorte qu’un pilote de ligne débutant chez Delta gagne 15 000 $ brut par année ! American Airlines a même sévèrement rabroué un pilote qui avait fait une demande d’aide alimentaire, à laquelle il avait droit, pour nourrir ses quatre enfants. Message de la compagnie aérienne : quiconque fera une telle demande sera licencié ! Moore dénonce également le sort réservé aux Afro-américains. Pour illustrer le racisme toujours présent, il rapporte que la principale demande de censure, pour son documentaire Roger and Me, concernait la scène où une femme tue un lapin afin de le vendre comme nourriture et non cette scène où l’on voit un Noir se faire abattre à bout portant par la police. Il y a aussi cette justice à deux vitesses. Première vitesse : plus le crime est gros, plus on a des chances de s’en tirer. Koch Industries a déversé, en toute connaissance de cause, quatre-vingt-onze tonnes d’un produit toxique et cancérigène, le benzène, dans un cours d’eau et dans l’atmosphère. Des poursuites furent intentées pour condamner cet acte qui fit des victimes, mais elles furent abandonnées. Doit-on s’étonner lorsqu’on apprend que les mêmes industries ont injecté 800 000 $ dans la campagne électorale de Bush et de d’autres candidats républicains ? Anthony Taylor a goûté à l’autre vitesse : il s’est fait passer pour Tiger Woods et s’est fait faire une fausse carte de crédit. Il s’est acheté un téléviseur à écran géant, des chaînes hi-fi et une automobile de luxe (usagée). Sentence : deux cents ans de prison ! Tout ça à cause de cette impitoyable loi californienne dite de la  » double récidive « .

Le comble de la sottise

Moore passe à la moulinette de la critique le mépris général pour l’éducation (écoles et équipement vétustes, profession d’enseignant dénigrée, etc.) ; le peu de souci pour l’environnement (la construction de 4×4 encore plus gros sera bientôt permise : ceux-ci ne seront même pas assujettis aux normes standard de consommation d’essence) ; les sommes scandaleuses accordées à l’armement (1 600 milliards pour les quatre prochaines années !), alors qu’une fraction de ce budget réglerait les problèmes mondiaux de famine et d’approvisionnement en eau potable. Et cet abus de la peine capitale qui permet que des mineurs et des malades mentaux soient exécutés : une invention du stupide homme blanc ?

À la fin de son livre, Moore nous raconte une incroyable histoire. Richard Reid, le passager d’un vol d’American Airlines, tenta en vain et ce fort heureusement, le 22 décembre 2001, de mettre le feu à ses chaussures, qui contenaient de l’explosif. Quand Moore dut prendre l’avion pour San Antonio, il prit connaissance de tout ce qu’il était interdit d’apporter avec soi : entre autres, glaçons et souffleurs de feuilles. Il s’étonna de ne pas y voir figurer les briquets à gaz. Mais pourquoi donc ne pas tout simplement les interdire, puisqu’ils sont potentiellement dangereux, alors que, de toute façon, il est interdit de fumer sur tous les vols ? Lors de la promotion de son livre, Moore fit part à son auditoire de sa perplexité face à cette histoire. Pendant la séance de signature, un jeune homme, travaillant au Capitole, s’avança vers lui et lui confia que les briquets à gaz figuraient sur la première liste des objets prohibés, mais que le lobby du tabac avait fait des pressions pour que ses clients puissent s’allumer une cigarette le plus vite possible à l’arrivée.

À prendre ou à laisser ?

Les huit chapitres de son livre sont d’inégale qualité et varient dans leur dose de sérieux ; certains donnent davantage dans l’humour pur que dans la dénonciation bien documentée. C’est peut-être ce qui constitue une faiblesse chez Moore ; est-ce que l’effet escompté, de toute évidence la dénonciation de l’injustice et des travers de la société, ne se voit pas occulté par la dimension comique surajoutée ? On ne saurait certes exiger de Moore qu’il porte tous les chapeaux, celui du bouffon du roi et celui du roi lui-même. L’auteur américain a choisi la première voie, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Et elle n’est pas sans effet non plus : dans Bowling for Columbine, il obtient la promesse de la direction de K-Mart de ne plus vendre des munitions dans toutes leurs succursales. Mais la promesse a-t-elle été tenue ? Faudrait voir.

Bref, si Michael Moore n’existait pas, il faudrait quand même l’inventer. Quelqu’un doit se lever et dire innocemment, mais bien fort pour être entendu, que le roi est nu. Son livre est à recommander à tous ceux et celles qui aiment aiguiser leur sens critique mais qui abhorrent les discours écrits dans la langue de bois.

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