Par Vanessa Bell pour la librairie L’Exèdre (Trois-Rivières)

 

LES AUTEURS DE CHEZ NOUS

1. Un juste ennui
Isabelle Dumais (Le Noroît)
Lire Un juste ennui, c’est retrouver les carnets d’une amie disparue. Un trésor, une caresse où violence et douleur épousent l’intelligence et la sensibilité de qui sait se déposer pour mieux comprendre, sentir. Ce juste ennui dont il est question frotte le lecteur à sa propre partie d’ombre, oblige le temps à ralentir, afin de voir la lumière crue déposée entre chaque vers de la poète. Ce recueil ne fait pas exception à l’œuvre poétique de Dumais, son goût pour la discussion, la réflexion partagée s’illustre dans un hommage décliné en deux suites à ces grands écrivains de l’ennui qu’ont été Cioran et Pessoa. Ce livre est un incontournable pour qui aime la poésie contemporaine. #slowtoute

des filles rient et enfantent/à cause de toi/je regarde et compte les voitures qui passent/guette les pommes tomber des pommiers/Cohen chante dans mon salon/ma fenêtre est sale

 

2. Banlieues
Mathieu Croisetière (Éditions d’art Le Sabord)
Dans un lexique familier, Croisetière livre ici une réflexion clairvoyante sur le monde du travail, un plaidoyer pour la vie; la repossession de soi, du temps, contre un quotidien engourdissant. Un livre où « consigner sa vie ». Des poèmes comme autant de mini récits d’une existence automatisée. En prime, la touchante suite 24/7 qui lui a valu le deuxième prix de poésie aux Prix littéraires de Radio-Canada en 2010.

Tu égares tes pensées et tes clés de voiture/ce n’est pas demain la veille que tu pourras faire ce voyage/tu te rends à ton travail comme on se rend à son ennemi/le dos courbé les mains calleuses serrant sur toi ta boîte à lunch/la tête perdue dans des désirs que tu dois mettre de côté/tu n’espères plus qu’au jour le jour/te rendre au bout de cette journée/comme au bout de ta vie/la lumière de la tombe

 

3. Batailles
Patrick Boulanger (Écrits des forges)
Hommage tout en douceur à la famille, aux enfants à venir, à ceux qui « arrache[nt] nos    paupières/pour qu’on ne perdre rien du monde ». Ce livre n’a rien d’une poésie difficile, elle  est toute naturelle à qui sait lire la tendresse d’un parent pour les siens.

ce matin/j’ai beau tourner autour de tes seins/souffler la fumée de ta gorge/brûler la cire de mon dos parmi tes cercles d’oiseaux/tu ne restes pas//les yeux fermés pour mieux créer/tu glisses tes jardins dans une autre pièce/à l’abri de mes effondrements/des barbares qui m’habitent

 

4. Sombre d’ailleurs
Frédérick Durand (Triptyque
)
C’est sur une amorce passionnelle que le recueil de Durand s’amuse à inviter la mort dans de courts scénarios en vers et en prose où les limites du possible semblent s’effriter pour laisser place à un monde à inventer, tenant autant du fantasme que du cauchemar.

Enfants aux mains trouées qui joue aux billes/je porte le désert sous ma peau/des crocs de loup dans ma bouche/n’oublie pas ma promesse/un jour je déchirerai ton visage

 

5. Shenley
Alexandre Dostie (L’Écrou)
Les mots d’amour me manquent pour dire combien j’aime ce recueil. Lu, relu, offert, utilisé pour moult ateliers d’écriture : Shenley de Dostie est une voie riche et efficace pour faire avouer aux non-fans du genre qu’ils aiment enfin la poésie! Dans un style incisif, brutal, mais jamais exagéré, Alexandre amène qui le veut sur son bike faire un tour dans les terres de la Beauce, pointant sur le chemin chaque « arc-en-ciel dans les flaques de gaz ». Le premier recueil du performeur, cinéaste, auteur, maintes fois primé ne fait pas exception à l’ensemble de son œuvre : il parle vrai, fort, beau.

coliformes//j’ai bu toute l’eau/qui a coulé en dessous des ponts/pis j’te l’ai craché dans face//ma crisse.

 

LES LIVRES DONT JE NE PEUX ME SÉPARER, PAS MÊME POUR LES PRÊTER

 

6. Les heures se trompent de but
Virginie Beauregard D. (L’Écrou)
C’était ma première année comme chroniqueuse littéraire à la radio. J’y allais de ce que je connaissais le mieux quand ce livre, ô ce livre, est arrivé à la station. L’Écrou venait à peine de souffler sa première bougie et ce vent de célébration avait déposé dans mes mains les mots d’une poète qui n’allait plus jamais me quitter, ceux de Virginie Beauregard D.. Ce livre ne fait pas exception à tout ce qu’elle nous a offert avec tant d’intelligence et de sensibilité depuis; il est juste, porte des vers finement balancés, un univers qui enveloppe et déchire avec splendeur le quotidien, des merveilles accessibles à qui le lit. Déjà, on y retrouve des thèmes, des personnages qui traversent son œuvre : chien, jardin, mer. Les dessins, superbes, qui ponctuent la lecture, tout comme la couverture sont signés de l’auteure. Un livre soigné, grand, j’écrirais même grandiose.

j’entends trois mers/balayer la rue//tous les jours/je me fais casser un œuf sur la tête//tu as mis le feu au chien/pour que je gagne/la guerre du journal intime

 

7. Il fait un temps de bête bridée
Mathieu Simoneau (Le Noroît)
Petite, je m’inventais un monde en observant les bisons courir dans la plaine, près du chalet. Ce n’est que dans ce livre que j’ai retrouvé la force émouvante des bêtes sauvages, les ayant oubliées, comme tout le monde d’ailleurs. Il fait un temps de bête bridée, premier recueil de Mathieu Simoneau, a demandé plusieurs années de gestation et c’est avec une maturité désarmante qu’il se présente au monde. L’auteur signe ici un texte debout dans la révolte, porteur d’un souffle vital à mi-chemin entre l’homme et la bête, dans une écriture lumineuse, qui donne juste assez d’espace au lecteur pour s’y glisser tout en le pressant à poursuivre sa lecture dans une urgence retentissante.

vous naissez de lacs/si profonds et noirs/que la beauté vous effleure/et ça vous démange//trop longtemps/je n’ai pas regardé/la lumière dans les yeux//j’aimerais que l’oubli/soit un lieu de la terre/que fouiller ses ombres/soit un métier possible

 

8. Clinique
Roseline  Lambert (Poètes de brousse)
Premier recueil également pour Roseline Lambert qui subjugue à chaque nouvelle parution. Clinique se déploie en milieu asilaire où l’auteure, anthropologue de formation, fait, une fois de plus, la démonstration de son talent indéniable pour le genre. L’intelligence, la précision chirurgicale des vers captivent autant que la détresse et résilience des bêtes et femmes qui peuplent ce lieu. Gageons que vous le lirez d’une traite. Puis encore.

je vous dépèce en petites bouchées/dans la salive de mes grognements/je vous mange froids/ici un plat de résistance

 

9. Les volcans sentent la coconut
Jean-Christophe Réhel (Del Busso)
Ça cogne à la porte, c’est la mer qui s’invite au salon pour quelques jours. Laissez entrer, ne cherchez pas le sens, ouvrez-les. Dans un registre familier, Réhel nomme, dit, appelle, ses journées et c’est de cette candeur que naît la beauté. Suite de poèmes bouleversants, Les volcans sentent la coconut offre pas moins de 96 pages relevant l’immensité des gestes du quotidien à travers la plume d’un poète qu’on croirait amoureux pour toujours.

les montagnes/ont toutes les poignets frêles/elles sont incapables/d’ouvrir la vingt-quatre/dans la maison en attendant/on donne un nom à chaque chaise

 

10. Petite brindille de catastrophes
Mimi Haddam (Éditions de la Tournure)
Petite brindille de catastrophes est tout ce que son titre promet. Le premier recueil de celle qui étudie la littérature et les arts visuels démontre de manière fort habile comment s’inventer, se reconstruire à l’aide des formes géographiques, après tant de ruptures, déchirures. Les textes, en prose et en vers, sont augmentés d’œuvres minimalistes d’Ariane Leblanc qui témoigne d’une profonde compréhension du corps du texte. On dit qu’une œuvre est forte lorsque son auteur arrive à rendre l’expérience personnelle universelle. Et bien, laissez-moi vous dire qu’ici, tous les éléments du livre sont admirablement déposés pour tendre vers cette expérience plurielle. Un petit bijou.

Que l’on se fasse tangibles à la fois touchants et touchés. C’est bien là qu’il faudra insister.

 

11. Quelque chose continue d’être planté là
Maude Pilon (Le lézard amoureux)
Issue des arts visuels, Maude Pilon offre avec ce premier recueil un texte renversant qui demande de suivre, de faire confiance. Brillante exploration de la sémiotique dans une narration qui emprunte autant à la géographie qu’à la poésie. J’ai été soufflée par la ramification des diverses sources citées/empruntées et autres verbatims généreusement partagés qui forment un corps cohérent et, disons-le, magnifique. Une forme d’hommage à la liberté qu’offre la poésie actuelle, mais aussi et surtout aux savoirs et langues des peuples des premières nations.

Si je ne sais ni ne veux définir ce qu’est la poésie, mais je peux assurément écrire que j’aimerais qu’elle soit plus souvent comme celle-ci.

À se procurer, absolument!

Un texte est constitué d’un ensemble d’objets longs : tiges, branches, bouts. Cet agencement pris dans le sol occupe beaucoup le marcheur. Il faut dire que c’est érigé et que c’est au milieu. Des saisons portent en leurs forêts une confusion familière. Le son du vent dans les arbres ou le son des arbres dans le vent. Le rond, régulation des pensées complètes, comme il est d’usage d’ouvrir les bras et de battre l’air. C’est comme ça qu’il marche.

 

12. Manuel de poétique à l’intention des jeunes filles
Carole David (Les herbes rouges)

« […] je voulais que les filles se reposent entre deux poèmes. »

                                                                        – Carole David

À cette liste manque plusieurs titres, mais il aurait été honteux de ne pas y inclure la brillante, talentueuse, généreuse, engagée, Carole David. Son œuvre se passe de présentation, mais laissez-moi le bonheur d’y ajouter quelques mots encore. J’aurais pu choisir n’importe quel titre au hasard et la recommandation aurait été aussi pertinente. Néanmoins, je mets celui-ci de l’avant puisqu’il témoigne très justement d’une force admirable de David : celle de puiser dans un classicisme formel tout en tordant joyeusement le bras à l’espace domestique pour créer une narrativité féminine et féministe, des poésies contemporaines vivantes, lumineuses. Manuel de poétique à l’intention des jeunes filles célèbre les figures mythiques et tutélaires penchées sur le berceau des petites filles. À avoir dans sa bibliothèque

La poète a raison : je lis sans comprendre, un exercice humiliant qui me rappelle les ébats d’une femme, les chevilles attachées aux poignets/(comment écrire à quatre pattes?);/seulement la langue dans l’exiguïté de la pièce. A. refait surface, crayons dans la bouche; elle me demande de les tailler.

 

 

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