PAR LA LIBRAIRIE GALLIMARD (MONTRÉAL)

Libraire : Thomas Dupont-Buist

 

1. Le brasier
David Paquet (Leméac)
Au fil de son œuvre, David Paquet nous a habitués à l’absurde en tant que formidable outil pour appréhender le monde. Quand l’âme sœur, inlassablement recherchée, ne s’avère pas de provenance extraterrestre, c’est qu’un coup de bâton de baseball peut ensemencer un ventre jusqu’alors vide. Le brasier, à travers trois tableaux déjantés, explore les différentes formes que peuvent prendre la solitude, l’amour et le désir. D’une malédiction proférée par un nourrisson naîtra une réflexion sur la filiation et la permanence du mal. Évidemment, rien n’est jamais dit aussi clairement. C’est tout le plaisir des textes de Paquet qui nous permettent de nous triturer le crâne avec des analyses incertaines et/ou farfelues qui partent d’objets d’étude aussi délirants qu’un bébé psychopathe, qu’un amour qui pousse à mettre l’être cher en cage (littéralement) et que l’assassinat involontaire d’une tarentule par une femme aussi indigeste qu’aimante. La splendeur des mésadaptés rencontre ici l’attrait indicible que revêt la perversion. On se souvient alors que comprendre n’est pas tout et qu’il est des folies plus belles que la rectitude d’un raisonnement. 

 

2. Gamètes
Rébecca Déraspe (Atelier 10)
Indéniablement l’une des voix les plus prometteuses de la dernière décennie, Déraspe a ce talent de développer des personnages plutôt que des discours, d’aborder des sujets confrontant en restituant toute l’ambiguïté et les contradictions qui naissent du dialogue. Dans une langue libre, deux amies de longue date s’interrogent sur l’accomplissement au féminin, mettant un instant de côté conventions et complaisance, le temps de prendre une décision capitale.

 

3. Épopée Nord
Olivier Morin et Guillaume Tremblay (Ta Mère)
Vous avez raté le spectacle du troisième volet de la trilogie du Québec? Pas de panique, insérez un CD de Navet Confit dans votre lecteur, carguez-vous dans votre chaise et laissez-vous entraîner par ce grand n’importe quoi enfin immortalisé sur papier. Plus brillants que jamais dans la connerie monumentale, Olivier Morin et Guillaume Tremblay poursuivent leur exploration du Québec du futur. En 2035, voilà qu’une terrible menace identitaire revient hanter la seule nation francophone de l’Amérique. Ayant pris pour porte-parole Fred Pellerin (l’emblématique conteur à petites lunettes rondes), les autochtones que l’on croyait enfin assimilés se révoltent massivement. Le peuple de la gigue et du juron fleuri arrivera-t-il à préserver sa sacro-sainte identité? Épopée Nord est réjouissant de fiel, livrant tout un chacun à la planche, n’épargnant personne dans cette grande fronde du rire. Un pur moment de folie qui ne concède que le nécessaire à l’implacable lucidité.

 

4. J’accuse
Annick Lefebvre (Dramaturges Éditeurs)
Rarement a-t-on vu une charge mariant aussi bien violence, tendresse et mélancolie. Composée de cinq monologues se répondant et s’interpénétrant, la pièce J’accuse produit l’effet d’électrochocs sur l’atrophie du lecteur. Cinq filles (et non pas femmes, terme que l’auteure juge trop connoté) livrent leurs pensées les plus intimes, dévoilent leurs angoisses, crachent leur colère et disent leurs espérances. Comme si le seul fait de nous les confier pouvait alléger l’accablement, comme si la laideur, une fois nommée, n’avait d’autre choix que de s’amenuiser. La langue est crue, le verbe haut, le propos sans compromission et les angles à la fois opposés et semblables, comme les différentes facettes d’une même pierre. À ceux qui n’ont pas encore découvert la force vive d’Annick Lefebvre, l’importance de sa voix pour toute une génération : n’attendez pas son prochain spectacle pour le faire!

 

5. Une mort accidentelle
François Archambault (Leméac)
Le jour où une querelle au sein d’un couple célèbre va trop loin et que l’un tue l’autre accidentellement, la machine du mensonge s’emballe et s’exprime sur tous les supports que lui a abandonné la modernité. Dans un registre ambigu qui fait toute la finesse de la pièce, le ton oscille entre un humour noir mordant et une mélancolie savamment distillée. Une pièce qui reflète avec brio toute la vacuité et la médiocrité de notre époque.

 

6. Opium_37
Catherine Léger (Leméac)
Réjouissant cabaret opiacé où l’on voit défiler, entre autres célébrités du passé, Antonin Artaud et Anaïs Nin. Cette pièce confronte les idées esthétiques d’une époque. Voici l’une des premières pièces de Catherine Léger, force vive désormais consacrée, appréciée tant pour le style que pour l’humour. 

 

7. En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pas
Steve Gagnon (L’instant même)
Steve Gagnon transpose ici les sanglantes tragédies de Racine au confort oiseux de la banlieue. Avec talent, il démontre que la pelouse, le bitume et les barbecues atomiques n’ont pas réussi à enfouir les pulsions de mort qui nous hantent, que la jalousie prospère sur des rues aux noms dénués de signification et que la vanité fleurit non loin de la tombe de la singularité.

 

8. Bienveillance
Fanny Britt (Leméac)
Magnifique réflexion sur la personnalité comme métamorphose constante, donnée instable, devise fluctuante, cette pièce raconte la visite que rend un avocat à de vieux amis d’enfance après avoir abandonné un cas qui l’aurait opposé à ceux-ci. L’atmosphère ne tarde pas à se refroidir sensiblement. Que reste-t-il des rêves passés, des aspirations abandonnées, des promesses caduques et des liens abolis? Ce sont là quelques-unes des questions auxquelles Britt nous propose de réfléchir.

 

9. L’enclos de l’éléphant
Étienne Lepage (Dramaturges Éditeurs)
D’infimes décisions ont parfois des conséquences monumentales sur nos vies. Il aura suffi d’ouvrir la porte afin de laisser entrer un inconnu pour que le pire de l’hôte comme de l’invité ne tarde pas à se révéler. Un trésor de rythme sur la peur de l’autre et sur les masques qui, un jour ou l’autre, sont voués à choir.  

 

10. Yukonstyle
Sarah Berthiaume (Théâtrales)
Pour aller s’installer au Yukon, il faut soit avoir quelque chose à fuir très loin, soit être fervent de la nature boréale dans toute sa beauté inhospitalière. Les personnages de cette pièce appartiennent plutôt à la première catégorie. Berthiaume nous livre trois personnages inoubliables, éclopés de la vie qui ne savent pas encore qu’ils cherchent la rédemption. Poétique et puissant.

 

11. Les morb(y)des
Sébastien David (Leméac)
Voici d’abord et avant tout un texte sur la solitude et les extrémités où peut mener le besoin de chaleur humaine. Deux sœurs obèses ne sortent pratiquement plus de chez elles. L’une d’entre elles se met en tête de retrouver un tueur en série, seule personne, selon elle, qui sera bien obligée de la remarquer. Voici un texte touchant qui établit que la haine, à défaut de mieux, vaut mieux que l’indifférence.

 

12. Habiter les terres
Marcelle Dubois (Lansman)
Empruntant au réalisme magique (chose rarissime dans la dramaturgie québécoise), cette fable dénonce le sort que l’on fait à nos régions. En désespoir de cause, après avoir tout essayé, un groupe de citoyens d’un petit village nordique décide de kidnapper un ministre afin de lui faire entendre raison. Heureusement, ils ne sont pas seuls puisque marchent à leur côté outardes et ours. Lyrique, drôle et porteur d’un message d’intérêt public.

 

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