Galoche, Marie-P, Pépé, Super Hakim, ça vous dit quelque chose? Ce sont quelques-uns des personnages-titres des éditions FouLire qui font rire et lire les jeunes lecteurs depuis maintenant 15 ans. Nous avons posé onze questions à monsieur Yvon Brochu, cofondateur et copropriétaire de la maison FouLire.

Pouvez-vous nous raconter la petite histoire de la maison d’édition FouLire et nous dire pourquoi vous avez décidé de vous consacrer à la littérature jeunesse?
Danielle Lajeunesse et moi, après avoir assumé pendant plus de dix ans au sein d’une maison d’édition québécoise spécialisée en jeunesse différentes responsabilités – dont directeur de collection pour ma part –, nous avons décidé de créer notre propre entreprise, il y a 15 ans, en étroite association avec Jean-Marc Gagnon et Lyse Morin de MultiMondes. Depuis maintenant 10 ans, nous en sommes les deux seuls propriétaires.

Pourquoi, il y a 15 ans avoir créé une nouvelle maison d’édition jeunesse? Pourquoi en « humour »? Jamais nous n’aurions réalisé un tel projet si Danielle et moi n’avions pas été convaincus de la nécessité de voir alors une maison d’édition québécoise occuper le créneau de l’humour – un humour qui fait appel à l’imaginaire et à l’intelligence des jeunes, bien entendu –, et ainsi contribuer au développement de la lecture en offrant des livres de qualité, de facture originale, attrayante et « accessible » ainsi qu’une approche basée principalement sur la notion de « série », visant à faire lire le plus de jeunes possible de 6 à 13 ans, même ceux et celles peu enclins à la lecture, mais aussi à créer l’habitude de la lecture chez ces derniers.

Une première publication en 2002 – Galoche chez les Meloche –, puis quatre la seconde année et sept la troisième année, et nous voilà rendus aujourd’hui à un rythme annuel dépassant les trente titres par an, avec un catalogue de plus de trois cents livres.


Quels sont les plus grands défis d’une maison d’édition spécialisée comme la vôtre?
La qualité de notre production dès le départ a rapidement enrayé l’embûche première, je crois, soit la perception souvent négative qu’entretiennent beaucoup de personnes à l’égard de l’humour en littérature. La publication d’auteurs de renom tels les Alain M. Bergeron, François Gravel, Martine Latulippe, Johanne Mercier, Hélène Vachon et d’autres, nous a tout de suite permis d’établir une solide crédibilité.

Même après avoir remporté plusieurs prix littéraires et mentions ainsi qu’énormément de reconnaissances à divers palmarès démontrant à quel point les jeunes aiment nos livres, nous devons continuer à faire comprendre que, oui, le sourire, le rire et le fou rire sont des attraits indéniables pour susciter l’intérêt à la lecture, mais qu’ils sont également des atouts à ne pas négliger pour aborder les drames et les émotions du quotidien, particulièrement en ces temps où l’espoir doit prédominer dans nos propositions romanesques.

Parmi nos principaux défis, il est important d’assurer le renouvellement de notre production, la diversifier et l’étoffer; aussi, maintenir l’excellence en tous points des romans ou des livres de chaque série en développement.


À quoi attribuez-vous son succès et sa pérennité?
Au mandat clair qui l’a fait naître, et qui guide toujours sa destinée, tel qu’il a été décrit plus avant. Mais notre réussite est directement liée à l’excellence de nos créateurs et à leur grande fidélité. Enfin, à notre solide équipe éditoriale qui travaille en véritable osmose avec les auteurs et les illustrateurs.

À quoi reconnaît-on un bon texte pour la jeunesse?
C’est très personnel, mais d’abord et avant tout quand un livre me fait replonger en enfance, et qu’en le parcourant j’oublie que je suis un éditeur. Pour le reste, je ne vois pas vraiment de différence avec l’approche adulte : histoire captivante, thèmes qui interpellent la réflexion et qui amènent des moments d’émotion, d’étonnement et d’ébahissement. Bien entendu, il est aussi approprié de créer un contexte littéraire dans lequel le jeune peut évoluer avec aisance, s’y reconnaître ou encore s’identifier, sans pour autant y retrouver obligatoirement des jeunes.

Qu’est-ce qui vous rend le plus fier de vos années d’éditeur?
Avoir versé de plus en plus de beaux chèques de droit d’auteur, avoir constamment et simultanément travaillé les nouveautés et le fonds, avoir évité presque toute rupture de stock en 15 ans, avoir établi une complicité extraordinaire avec les libraires partout au Québec, que nous visitons annuellement depuis plus de dix ans, avoir développé une belle synergie avec les enseignants et l’Association québécoise des enseignants du primaire (AQEP).

Finalement, j’ai le sentiment d’avoir tenu promesse auprès d’une enseignante de Jonquière, lors d’une animation dans sa classe en 2001. Cette dernière m’avait alors invité à formuler à ses élèves des arguments pour les faire lire davantage : « Je ne sais plus quoi leur dire pour qu’ils délaissent Internet et lisent. » J’avais mentionné à la dame que j’allais faire encore mieux que cela, très bientôt. En fait, c’était le tout premier déclic qui allait me mettre en mode « action » pour créer, environ un an plus tard, avec Danielle Lajeunesse, Les éditions FouLire.

Avez-vous des regrets?
Vraiment pas, si ce n’est celui ne n’avoir pas réussi à faire un meilleur succès de quelques collections de grande qualité, dont nous aimons le travail de création des auteurs, et qui méritaient d’être davantage lues.

Vous n’êtes pas seulement éditeur, vous êtes auteur aussi. Comment arrivez-vous à concilier les deux? Vous ne pouviez pas choisir entre l’un et l’autre?
Quand on a écrit plus d’une trentaine de romans jeunesse lors de plage de création se situant entre 22 h et les petites heures du matin, tout en assumant la tâche de professionnel au ministère des Affaires culturelles durant plus de quinze ans, la conciliation éditeur – auteur ne représente pas un défi insurmontable, au contraire. Et sincèrement, je crois que le fait d’être auteur m’apporte une certaine sensibilité pour encore mieux saisir et répondre aux attentes des créateurs, tel le souci de répondre rapidement à un auteur qui vient de déposer son manuscrit. Je connais que trop bien cette anxiété…

Pouvez-vous nous confier un ou deux moments qui font partie de vos plus beaux souvenirs?
Un des beaux témoignages de confiance que je n’oublierai jamais, c’est l’engagement des Martine Latulippe, Reynald Cantin, Johanne Mercier et Hélène Vachon dans les concepts novateurs de La joyeuse maison hantée et Le trio rigolo, dès les premières années. Ces collections, originales et audacieuses, ont été des succès et ont rapidement fait connaître FouLire.

Tout comme cet instant magique alors que Martine Latulippe et Johanne Mercier, deux des auteures de La bande des quatre, également composée d’Alain M. Bergeron et de François Gravel, nous remettaient la brique de pages composant le premier manuscrit de cette collection unique en son genre, qui aurait fait le bonheur de tant d’autres éditeurs.

Et, aussi ce moment très particulier lors d’un Congrès de l’AQEP à Gatineau alors que, pour la présentation de notre premier atelier FouLire, Danielle et moi accueillions plus de 120 participants venus assister à notre atelier, le plus gros atelier du congrès, quel souvenir! Quelle excitation! Mais nous ne savions pas encore que beaucoup d’autres événements du genre nous attendaient tout au long de notre palpitant périple d’éditeur.

Enfin, quel grand moment de voir les yeux et l’enthousiasme d’une Louise-Catherine Bergeron, d’une Geneviève Dumais et d’une Jessica Wilcott, devant leur tout premier roman. Une des plus belles récompenses pour un éditeur!


Quel est le plus grand apprentissage que la lecture peut apporter aux enfants?
La découverte du monde sous toutes ses formes, ses expressions, ses beautés et ses travers pour mieux l’apprivoiser et y participer activement.


Étiez-vous vous-même un enfant lecteur?
Bien que cliché, comme plusieurs personnes de mon époque, le parcours « Tintin » – « Bob Morane » fut à l’origine de ma passion progressive pour la lecture qui s’est peu à peu confirmée avec Le Grand Meaulnes, Pieds nus dans l’aube et des centaines et centaines de romans qui m’ont amené à m’inscrire en Lettres et y fréquenter des monstres de l’enseignement littéraire, tels les André Belleau, Hubert Aquin, Noël Audet et bien d’autres pour mon plus grand bonheur.

Que souhaitez-vous à FouLire pour les quinze prochaines années?
Je ne sais pas l’avenir ni vers quoi vont nous amener toutes les nouvelles technologies, mais je souhaite vivement que la maison ne fasse aucun compromis quant à sa philosophie, et aussi, l’âme qui l’anime intimement liée au respect des créateurs et de leurs œuvres.

Que les créateurs continuent de témoigner à l’égard de la maison et des personnes qui assumeront peu à peu la relève, une aussi belle fidélité et que ce sentiment d’appartenance, rare et si précieux, à la base des succès de la maison, continue de s’exprimer.

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Photo : Yves Lacombe

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