Les éditions québécoises Liber célèbrent 25 années d’existence. Spécialisée dans l’édition d’ouvrages de philosophie et de sciences humaines et sociales, la maison tient un important catalogue élaboré consciencieusement à travers les années et qui nous ouvre les portes d’un savoir et d’une réflexion très riche. À l’occasion de ce premier quart de siècle, nous nous sommes entretenus avec le fondateur et président-directeur général des éditions Liber, Monsieur Giovanni Calabrese.
Qu’est-ce qui vous a amené à fonder une maison d’édition, cette maison d’édition?
Je me suis peu à peu introduit aux métiers de l’édition au cours des années 1980. J’ai été successivement et tout à la fois correcteur, réviseur, responsable de projet, traducteur, nègre, dans divers organes de publication, édition scolaire, édition générale, revues savantes, périodiques culturels, magazines grand public. Je me suis fait la main, la petite main. À un certain moment mon esprit d’indépendance m’a convaincu de faire quelque chose de plus personnel. J’avais une formation en lettres et en philosophie, et par tempérament j’étais surtout porté à la théorie, à la réflexion, au raisonnement, aux discours fondamentaux. C’était là un langage que je maîtrisais plus facilement que celui des images, par exemple, ou celui de la fiction. Mes amis les plus proches étaient sur la même fréquence. Ils me soutenaient. Cela a donné une maison d’édition dédiée aux sciences de l’homme et à la philosophie.
C’était en 1990. Que retenez-vous de ces 25 ans d’activité éditoriale?
Oh! plusieurs choses! L’accueil qu’il faut réserver à ceux qui publient pour la première fois; la connivence sinon l’amitié qui s’établissent avec ceux qui, au fil du temps, vous confient pratiquement leur œuvre; la figure de tous ceux avec qui on a travaillé, employés et partenaires; des aspects administratifs et financiers un peu plus crispants. Mais, de manière générale, je dirais une très grande satisfaction qui tient à ceci: on s’avise à un moment donné qu’on est au centre de ce que l’intelligence et la réflexion produisent de mieux. Cela ne veut pas dire que tous les manuscrits que nous avons reçus étaient géniaux ni que les livres que nous avons publiés sont incontournables. Non. Je veux simplement dire que publier des travaux dans les domaines qui sont les nôtres c’est forcément être au centre d’une activité intellectuelle qui nourrit, enrichit, garde en éveil, provoque et apaise. Cela ne mène ni au relativisme ni à la fatigue, mais au renouvellement constant de la curiosité, de l’attention, de l’engagement.
Qu’est-ce qui caractérise les éditions Liber ?
Je ne sais pas. Nos choix éditoriaux recoupent souvent ce qui se publie ailleurs. Nous ne sommes pas plus sérieux ou plus originaux que les autres, même si nous sommes peut-être les seuls au Québec, sinon au Canada, à publier de manière régulière de la psychanalyse, par exemple. Cela dit, il est vrai qu’une maison d’édition privée se spécialise rarement dans des domaines lourds et exigeants, sans véritable garantie de succès commercial. Nous ne sommes pas masochistes pour autant. On a déjà appelé le genre d’ouvrages que nous publions des «livres raison», à la fois difficiles à écouler, mais essentiels pour féconder les esprits. Il est possible par ailleurs que ce qui caractérise les éditions Liber tienne aux personnes qui y travaillent et à l’ambiance — aussi studieuse qu’artisanale — qui y règne. Mais là on touche à la partie invisible et mystérieuse du travail.
Avez-vous une anecdote ou un événement marquant à nous raconter?
Nous publions dans des domaines où les coups d’éclat, les anecdotes étonnantes, saugrenues ou spectaculaires sont rares. Nous n’avons pas affaire à des vedettes aux caprices exotiques et aux aventures truculentes. Mais je répondrai à votre question, même si l’exemple qui me vient à l’esprit n’a pas vraiment de conséquence. Nous avons publié plusieurs ouvrages de Jacques Marchand, professeur de philosophie, dans une série qui s’appelle Sagesses. Ce sont des ouvrages substantiels sur l’émergence des systèmes de sagesse anciens (égyptien, mésopotamien, biblique, grec). Esprit méthodique et soigné, à la connaissance profonde et globale, Jacques écrit toujours à la main. Il fait taper le texte ensuite. Eh bien, pour un de ses livres de quelque cinq cents pages, il nous a demandé si nous étions en mesure de l’aider. Nous avons accepté. Il nous a donc remis l’original manuscrit et nous en avons saisi le texte. Ce manuscrit nous a paru tellement inhabituel que nous l’avons gardé. Dans une écriture fine, minuscule, légèrement montante, sur des feuilles de la moitié du format standard, il nous a remis une dizaine de chemises de même format dans un ordre absolu. Le plus renversant est que le texte lui-même était pratiquement sans rature. Vous vous rendez compte: sans rature. Notre étonnement est un peu comparable à celui de Salieri qui, dans le film de Forman, jette un œil sur la partition que vient lui montrer la femme de Mozart. Sans rature. Comme s’il écrivait sous dictée.
Quelles sont les activités prévues pour célébrer les 25 ans de la maison?
Quand nous y avons pensé, nous nous sommes dit qu’il fallait joindre l’utile à l’agréable. Une fête, soit, mais aussi un peu de sérieux — on ne se refait pas. Aussi nous avons prévu trois rencontres «sur invitation» au cours desquelles on partagerait avec un certain nombre d’auteurs, de partenaires et d’amis, chaque fois différents, nos réflexions sur vingt-cinq ans d’activité éditoriale, de choix éditoriaux, d’évolution des connaissances et des sensibilités pour en tirer des inspirations pour l’avenir. Une rencontre générale et plus festive aura lieu vers la fin de l’année.
Que souhaitez-vous à Liber ?
Pour chaque nouveauté, des ventes de cinquante exemplaires de plus qu’actuellement.
Site des éditions Liber
Sur la photo: Giovanni Calabrese
