5 finalistes au prix Sade 2016

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Le prix Sade est un prix littéraire créé en 2001 par Lionel Aracil et Frédéric Beigbeder, afin de rendre hommage au Marquis de Sade, à qui il emprunte le nom. Ce prix souligne un auteur singulier, honnête et libéral qui sera parvenu à défaire les carcans de la littérature autant que ceux de la politique. Rien de moins.

C’est hier soir, le mardi 13 septembre, que le jury s’est réuni pour sélectionner les cinq ouvrages en lice cette année. Rappelons que l’an dernier, la Québécoise Audrée Wilhelmy avait remporté ce prix pour Les sangs (Leméac), ex æquo avec Jean-Noël Orengo pour La fleur du capital. Le prix sera décerné le 24 septembre prochain.

[Les résumés ci-dessous sont ceux des éditeurs]

Des petites filles modèles, de Romain Slocombe (Belfond)
En 1858, la Comtesse de Ségur présente Les Petites Filles modèles comme la suite des Malheurs de Sophie, et ces deux livres figurent depuis lors au coeur du répertoire classique de la littérature française pour la jeunesse. Portraits d’enfants bien nés saisis au moment où ils s’interrogent sur le bien et le mal, tableaux d’un milieu social où ne cesse de se poser la question des normes et des limites, les petites filles doivent y être « modèles » en vertu d’un idéal de comportement. Mais l’atteindre n’est pas si simple ! Et l’on a amplement pointé, au-delà des récits en apparence innocents et inoffensifs de la Comtesse de Ségur, les bourgeons de l’ambiguïté. Dans son remake, Romain Slocombe les fait éclore : ses petites filles modèles deviennent les héroïnes d’un conte inquiétant et pervers, érotique et vampirique. Comme si la comtesse de Ségur avait retiré la sourdine pour écrire un roman destiné à des enfants plus âgés, laissant libre cours à la progression de la cruauté. Comme si elle avait quelquefois rêvé d’être Sade, non plus Comtesse mais Marquise…

L’Amour des femmes puissantes (Introduction à la viragophilie), de Noël Burch (Epel)
Ils aiment les femmes puissantes, capables de les dominer en combat singulier, grâce à leurs muscles et à leur science. Une floraison de sites sur l’internet a révélé récemment l’étendue mondiale de cette philia méconnue, qui a eu le temps de générer aux États-Unis une véritable sous-culture, cela dès la Seconde Guerre mondiale. Écrit à la première personne, cet essai transgresse au moins trois tabous : il fait fi de la séparation académique entre la recherche et la vie personnelle, passe allègrement du savoir à la littérature, et se moque du caractère privé (donc prétendument apolitique) de toute préférence érotique. Mais Noël Burch ne se contente pas de revendiquer ici, avec humour, sa viragophilie, il utilise son érudition cinématographique et son intelligence des fantasmes pour élucider la nature de cette forme très particulière d’érotisme, à ne pas confondre avec le sado- masochisme.

Le Fol marbre, de Denis Cooper (P.O.L.)
Pendant une innocente partie d’action/vente, le narrateur demande à son petit frère, Alfonse, quelle manière de mourir celui-ci choisirait. Le jeune garçon lui répond sans hésiter qu’il préférerait passer sous un rouleau compresseur. Quelques temps plus tard, après lui avoir caressé les cheveux pendant une séance de torture et de viol pédopornographique, le narrateur décide d’accéder au souhait de son cadet. N’ayant pas de rouleau compresseur sous la main, mais un tonneau lourd comme du plomb, il s’emploie, avec l’aide de deux acolytes, à écraser minutieusement le corps délicat de l’enfant évanoui. « La tête de mon frère n’avait pas de consistance, elle s’écroula en éclatant – les globes oculaires, les dents, la langue et des objets très abstraits jaillissaient hors de ses cavités et narines, ou défonçaient de nouveaux raccourcis là ou ils en avaient besoin. » Pape du gore et du hardcore, Dennis Cooper, l’écrivain le plus subversif des lettres US, revient en France après six ans de silence. Ici, comme dans sonCycle de Georges Miles ou dans son dernier roman traduit Salopes (PO L, 2007), Cooper décline jusqu’à la nausée les motifs obsessionnels qui ne cessent d’inspirer son œuvre amorale et inquiétante : SM, défonce, cannibalisme et inceste. 

Scènes du plaisir, la gravure libertine, de Patrick Wald-Lasowski  (Cercle d’art)
Contre l’interdit de la scène sexuelle, l’estampe libertine en exhibe l’image. Le siècle des Lumières appelle les gravures dans la plénitude du plein jour. L’essai s’organise en trois parties :
I. Faire posture interroge le catalogue des postures érotiques et la manière dont la gravure souligne, à travers elles, la nature spectaculaire de la scène sexuelle.
II. Célébrations païennes traite des estampes tirées des tableaux du plaisir, dont la multiplication fonde la circulation moderne des images.
III. Le démon du bizarre traite des « bizarreries », fouet, sodomie, homosexualité., que met au jour l’illustration des romans libertin.
C’est ainsi qu’évolue la gravure libertine, entre galanterie et obscénité, jusqu’à l’avilissement de la fi gure dans la caricature révolutionnaire.

Un désir d’humain, les love doll au Japon, d’Agnès Giard (Les Belles Lettres)
Il existe au Japon une industrie de « love doll », des poupées grandeur nature conçues pour servir de « partenaires de substitution ». Curieusement, ces produits sexuels haut de gamme se présentent sous la forme fantomatique de jeunes filles aux regards vides et aux corps incomplets… Est-il seulement possible de les « utiliser » ? Confrontant les humains à la question de la solitude, ces ersatz moulés dans les postures d’une attente sans fin fournissent un modèle représentatif de ce qui est considéré comme excitant et attirant dans la société actuelle.
Les firmes qui s’en disputent le marché les présentent non pas comme des « produits à vendre » mais comme des « filles à marier ». Lorsque le client ne peut ou ne veut plus garder sa poupée, celle-ci bénéficie de funérailles bouddhiques. A priori, ces love doll sont si ressemblantes qu’elles pourraient bien faire illusion. Ont-elles un coeur ? Une âme ? Les Japonais investissent actuellement des millions dans la recherche en robotique et s’intéressent tout particulièrement aux moyens de simuler la conscience. Or ces poupées constituent un véritable laboratoire pour la recherche en vie artificielle. Elles servent de modèles à des prototypes d’androïdes et influencent les recherches de pointe en matière d’anthropomorphisme. Le sujet de ce livre dépasse donc l’anecdotique. Il s’agit d’une enquête au cœur d’un système en train d’accoucher de formes de vies psychiques nouvelles. Les simulacres japonais devraient envahir le monde et cela d’autant plus rapidement que ces objets proposent quelque chose de plus qu’un aspect réaliste. Quoi ? (Parution le 26 septembre au Québec)

 

Le jury du prix Sade est présidé par Emmanuel Pierrat et est composé de François Angelier, Catherine Corringer, Jean-Luc Hennig, Ruwen Ogien, Catherine Robbe-Grillet, Guy Sarpetta, Jean Streff, Laurence Viallet et Gisèle Vienne.

 

 

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